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personnes qui peuvent former, avec vous, un cabinet homogène, représentant fidèlement la majorité du Corps législatif, et résolues à appliquer dans sa lettre comme dans son esprit le sénatus-consulte du 8 septembre. Je compte sur le dévouement du Corps législatif aux grands intérêts du pays, comme sur le vôtre, pour m’aider dans la tâche que j’ai entreprise de faire fonctionner régulièrement le régime constitutionnel. Croyez, Monsieur, à mes sentimens. »

Je n’avais jamais souhaité plus et mieux. Le soir même, mes amis du Centre Droit se réunissant au Grand-Hôtel, je crus convenable d’aller leur donner communication de la lettre que je venais de recevoir. Je commis une erreur assez divertissante. Le Centre Gauche lui aussi se réunissait au Grand-Hôtel. J’entrai chez lui, par mégarde, au lieu d’entrer chez mes amis. On m’entoura avec empressement et, de bonne grâce, je donnai la primeur d’une nouvelle que je comptais ne pas leur communiquer du tout. Bien des visages s’allongèrent. Mes amis, au contraire, vers lesquels je me rendis aussitôt, n’eurent que de la joie et décidèrent d’aller en masse s’inscrire aux Tuileries. Le lendemain 28, la lettre était au Journal Officiel, et le pays l’accueillait par une véritable acclamation. Le jappement railleur des intransigeans s’y perdit et on entendit encore moins le petit grinchement hargneux que le Centre Gauche déposa dans le coin d’un de ses journaux : le Français écrivit : « La Couronne s’est trompée en choisissant M. Ollivier comme organisateur exclusif du Cabinet. On peut procéder ainsi quand on s’adresse à un chef de parti reconnu. M. Ollivier n’est pas le chef de M. Segris et de M. de Talhouët, de M. Buffet et de M. Daru. Il fallait au moins corriger ce défaut de situation en réunissant ces personnages, en partageant en quelque sorte avec eux le soin que la faveur impériale avait attribué à un seul, en les consultant sur la composition du Cabinet. »

Dans le monde de la nuance du Français était un homme qui, par la hauteur du caractère, la supériorité du talent littéraire, un don spécial d’éloquence incisive et forte, la connaissance approfondie de la science politique et la sereine impartialité avec laquelle il jugea même ses adversaires les plus prononcés, restera une des figures les plus illustres du XIXe siècle, le duc Albert de Broglie. Il a rendu à mon œuvre un témoignage dont je demeure si touché que, quoiqu’il y ait quelque air de