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les rend à leur propagande, plus audacieux et irrités. Cet affaiblissement, cette anémie de l’action judiciaire est peut-être le pire de nos maux. Nous sommes donc tout consolé que M. Clemenceau n’ait pas réussi à enfanter le projet de loi qu’il avait conçu : son recul devant les sommations du socialisme nous inquiète davantage. MM. Briand et Viviani n’ont pas voulu rompre avec leurs amis d’hier. La rupture se fera quand même, inévitablement ; on peut dire qu’elle est déjà consommée ; mais ils n’ont pas voulu en prendre ouvertement l’initiative. Ils ont préféré attendre de pied ferme les foudres et les éclairs dont M. Jaurès s’apprête à les frapper du haut des nuages.

L’incident n’en est pas moins intéressant parce qu’il découvre les divisions du ministère. MM. Briand et Viviani ont bien consenti à révoquer un instituteur et quelques postiers et à arrêter trois ou quatre anarchistes, mais ils n’ont pas voulu faire un pas de plus. Et M. Clemenceau, qui voulait le faire, a été subitement frappé de paralysie. Il avait pourtant raison de croire à l’insuffisance de ce qu’il avait fait jusqu’ici. Quelques arrestations, quelques révocations ne sont, s’il est permis de le dire, que de la politique anecdotique. La situation générale en a été peut-être précisée et éclairée ; elle n’en a pas été modifiée. On attend la suite ; mais la force active du gouvernement parait s’être épuisée dans un geste.

Ce geste bien court a eu, d’ailleurs, une contre-partie qui n’a pas produit toute l’impression que le ministère en attendait, mais qui montre à quels petits et bas calculs d’équilibre et de bascule il est descendu. Le ministère n’a pas cru pouvoir frapper un instituteur et quelques postiers sans faire, d’un autre côté, des victimes destinées à servir de contrepoids. Les papiers Montagnini portaient les noms de quelques diplomates, ce qui suffisait pour en faire des suspects et, au besoin, des condamnés. Ils étaient quatre : on en a frappé deux. Le malheur est qu’ils étaient parmi les plus distingués de la carrière et que, si l’un a commis une imprudence extrêmement vénielle, l’autre n’a absolument rien fait, ce qui s’appelle rien : ou plutôt il a fait son devoir. On parle sans cesse d’assurer aux fonctionnaires des garanties contre les caprices d’en haut. M. Steeg, dans le discours qu’il a prononcé devant la Chambre, a donné quelques exemples d’un favoritisme dont l’excès dépasse tout ce qu’on avait encore vu jusqu’ici : à cette cause d’inquiétude et de découragement vient s’en ajouter une autre chez les fonctionnaires : on les sacrifie, quel que soit leur mérite, quels qu’aient été leurs services, quelle que soit leur innocence, à ce que