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redresser une situation qu’il a lui-même contribué à fausser ? Et quand nous parlons de lui, nous le faisons aussi de quelques-uns de ses collègues. Dans la discussion qui se poursuit devant la Chambre, c’est pour l’opposition un jeu par trop facile, vraiment, de mettre nos ministres en contradiction avec eux-mêmes. Leurs anciens discours, leurs anciens articles de journaux fournissent contre eux tout un arsenal d’argumens directs et personnels. C’est là, si l’on veut, de la petite guerre, mais elle porte coup, et l’autorité du gouvernement en sort diminuée. M. Clemenceau ; si habitué à embarrasser les autres, se montre à son tour fort embarrassé, à en juger du moins par les interruptions qu’il prodigue, car, au moment où nous écrivons, il n’a pas encore prononcé le grand discours qu’on attend de lui. Veut-on un exemple ? M. Paul Deschanel, qui n’avait jamais été plus éloquent, ni d’une éloquence plus élevée et plus pressante que dans la séance du 8 mai, s’est écrié : « Étrange pays, où la folie vous pousse en haut, où la répudiation de la folie vous y maintient, où l’on provoque d’abord par ses excès l’enthousiasme des violens, où l’on gagne ensuite par son repentir l’applaudissement des sages ! » Ce mot de repentir a piqué au vif M. Clemenceau. « Pourriez-vous me dire, a-t-il demandé, à quel moment j’ai manifesté mon repentir ? » Il n’était pas besoin de remonter bien haut pour signaler, chez M. le président du Conseil, une manifestation de ce sentiment, d’ailleurs si honorable. Une demi-heure auparavant, M. Steeg lui reprochait d’avoir voté, en 1884, un amendement à la loi scolaire qui obligeait le préfet à se conformer à l’avis du conseil départemental, dans les affaires disciplinaires où un instituteur était en cause. Aujourd’hui, le gouvernement prend l’avis du conseil départemental, comme la loi l’y oblige, mais ne le suit pas lorsqu’il le juge mal fondé et contraire à l’intérêt public. — « L’événement m’a montré que j’ai eu tort, a répondu M. Clemenceau. — Aujourd’hui ? a demandé M. Steeg. — À ce moment-là, a répliqué M. Clemenceau. — Vous avez eu tort pendant soixante ans, » a conclu M. Maurice Allard. — N’est-ce pas là un exemple de « repentir » chez M. le président du Conseil ? Mais que dire d’un ministre qui ne peut avoir raison aujourd’hui qu’en donnant un démenti à tout son passé ?

Parmi les impulsions diverses auxquelles cède M. Clemenceau, il y en a de bonnes. M. Clemenceau a le sentiment très net que l’insurrection des fonctionnaires contre le gouvernement est chose intolérable : c’est pourquoi il a frappé l’instituteur Nègre, contrairement à l’avis du conseil départemental de la Seine, et révoqué un certain nombre