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lire, — elle offre, en nombre de passages, un sérieux intérêt, voire un charme très délicat.

« Du génie, du talent et même de la facilité… » MM. Hillemacher, à n’en pas douter, ont reçu, ou plutôt acquis, l’avant-dernier de ces dons. Il n’est pas moins certain que le dernier leur fait entièrement défaut. C’est par la crainte ou le mépris du naturel, peut-être par l’impossibilité d’y atteindre, que se définirait le mieux leur nature de musiciens. Plus encore, et beaucoup plus, que la complication, ils ont le goût, la passion de la recherche. Embarrassée à force de raffinement, car on ne saurait la soupçonner d’impéritie, on dirait que leur musique se contourne, se contracte, se contraint volontairement, par gageure, par un parti pris singulier de se mettre elle-même à la gêne. Le rôle à peu près entier de Circé, dès le premier acte, mais principalement au second, offre un exemplaire achevé de la manière alambiquée. Sans doute il y fallait de ces grâces qu’on est convenu d’appeler félines ; mais, pour justifier l’épithète, la première qualité n’est-elle pas la souplesse ? Elle manque ici terriblement. Ici, rien ne s’arrondit et ne ploie. Ici, l’harmonie et le chant, la succession des notes et des accords, tout enfin trahit l’effort et le travail, la tension de la volonté, plutôt que le jeu libre et facile de l’imagination. L’angle, non la courbe, est le type ou la loi de ces formes sonores et la figure en quelque sorte musicale de la déesse grimace plus souvent qu’elle ne sourit.

Il existe une musique où l’intelligence l’emporte ; il en est une autre, où c’est la sensibilité qui domine. La musique de MM. Hillemacher n’appartient pas à la seconde espèce. Autant que de naturel, elle manque de spontanéité et d’élan, de passion et d’effusion. Très volontaire, très ferme, elle est non moins sèche souvent. Il est rare qu’elle s’abandonne, ou s’emporte, ou se livre, qu’elle résulte ou jaillisse de la rencontre, du choc entre un caractère, une situation, un sentiment, et l’imagination ou l’âme des musiciens. Elle a moins de cœur que de raison, et son origine est dans la réflexion et le travail, plus que dans la sympathie et l’émotion.

Voilà les défauts de cet art. Ils sont graves et se manifestent surtout, en quelque sorte, dans les grandes occasions, sur les sommets, au centre de l’ouvrage, où l’on aimerait sentir un foyer. Mais dans les accessoires, et comme aux environs du drame ou du poème lyrique, se cache l’humanité et la vie. Aride, ingrate au fond et d’ensemble, la partition de MM. Hillemacher abonde en détails agréables, et même précieux.