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surannées dans une œuvre qui date de trois quarts de siècle, quand on les retrouve dans les pièces de l’année ? Si Marion de Lorme était un plaidoyer pour la courtisane, en voici un autre, moins éloquent, moins truculent, mais plus attendri, plus ému, plus grave : il s’intitule le Ruisseau. Il s’est produit dans le talent de M. Pierre Wolff une évolution assez singulière. A l’époque de ses débuts le réaliste auteur de Leurs Filles s’était fait remarquer par l’exactitude, mais aussi par l’âpreté avec laquelle il peignait un fort vilain monde. C’était le temps du pessimisme et des pièces dans la manière noire. Le public se lassa ; les cœurs s’amollirent. Avec beaucoup de souplesse, M. Wolff sut se renouveler, s’accommoder au changement des temps et prendre le ton qui convenait : sa pièce sur les petits bâtards fut un des succès les plus éclatans de ces dernières années et réalisa ce prodige d’être le spectacle pour familles. Toutefois M. Wolff n’a pas voulu renoncer à un genre d’études où il s’était d’abord spécialisé et où il excellait. Il s’est contenté d’y introduire cette sorte de sentimentalité à laquelle il s’est converti. De cette rencontre entre ses sujets d’autrefois et sa manière d’aujourd’hui est née sa pièce nouvelle.

Le Ruisseau est une comédie d’une facture très habile et découpée d’une main sûre par un artiste passé maître dans l’art des contrastes et dans celui de la progression de l’effet. On a reproché, un peu partout, à M. Wolff, que son premier acte fût inutile et indépendant du reste de la pièce. Jamais reproche ne fut plus immérité. Ce premier acte sert d’abord à poser le principal personnage : Paul Bréhant. D’une conversation qu’il a avec son frère, il résulte que celui-ci n’est pas du tout un coureur, ni un libertin ; c’est au contraire un homme de grande sensibilité, au cœur profond, qui a le respect et le culte de l’amour. Cela a son importance. Et cet acte apprend en outre aux personnes qui l’ignoreraient encore, ce que c’est que la bonne société. Si vous avez sur ce chapitre quelques illusions, allez voir le Ruisseau. Que dans le meilleur monde les maris fassent la fête et que les amis y trompent outrageusement leurs amis, ce commerce de vilenies n’est pas pour nous surprendre. Mais ce sont les femmes du monde qui sont traitées ici comme elles le méritent : quelle noirceur d’âme et quels tempéramens !

Après cela, et par l’effet du contraste, nous sommes préparés à mieux apprécier un autre monde : celui qui tient ses assises dans les restaurans de nuit et les cabarets de Montmartre. Le décor du second acte très joli, très papillotant et qui a été acclamé, représente un de ces établissemens. C’est plein de braves gens, ces endroits-là, et on