sorte de critique à laquelle elle résiste le moins. Victor Hugo, qui avait tant d’autres dons admirables, était dépourvu de ceux qui l’ont l’auteur dramatique. Il le savait et n’a fait que traverser une carrière dont il n’attendait pas sa gloire véritable. Il n’est guère de pièces plus mal faites que Marion de Lorme. Elle part de l’invraisemblable pour se continuer par l’impossible. Elle est pleine d’obscurités et de trous. Elle s’embarrasse de longueurs, se perd dans les épisodes, se noie dans les digressions. Jamais les événemens ne résultent ni des passions, ni des situations ; et on a un peu de honte d’en faire la remarque. La logique n’a ici rien à faire : tout ne procède que du hasard, des circonstances imprévues, des accidens extraordinaires et des coups de théâtre. Ici, quand on est mort, on ressuscite ; quand on porte un costume, c’est un déguisement ; quand on se présente sous un nom, c’est un faux nom ; ce sont « les surprises de l’état civil. » Tout comme dans le vaudeville, le quiproquo est le grand ressort du drame romantique. Et c’est là, au seul point de vue de l’art, la grande erreur de ce théâtre ; il a adopté et patronné, il a tâché d’installer dans notre estime et d’introduire dans la littérature les moyens les plus vulgaires, jusqu’alors réservés aux genres inférieurs. Aussi sa déroute était-elle inévitable. Il laisse le souvenir d’une aventure et d’une déviation dans l’histoire de notre théâtre.
Telle est en effet la raison pour laquelle nous assistons sans regret à la disparition progressive et à l’évanouissement du drame romantique : il n’a servi qu’à déranger la tradition. Cette tradition veut que le théâtre vive, avant tout, de logique : c’était l’opinion de Dumas fils, comme ce fut celle de Racine. Elle exige une connaissance intime des âmes, toutes complexes et diverses ; elle prétend que la psychologie soit déterminée par le caractère des individus, nuancée par l’atmosphère morale d’une époque : un Didier, une Marion ne sont que des entêtés et ne témoignent que d’une crise de la sensibilité moderne. Nous demandons au théâtre du bon sens et que les choses qu’on met ensemble aient entre elles quelque rapport ; mais entre un caprice de Marion et la politique de Richelieu il n’y a pas plus de relation qu’il n’y en a entre le sombre roman de Didier et la question sociale. Il ne nous déplaît pas que le drame accueille la philosophie et qu’il fasse la leçon aux puissans ; mais c’est à condition de ne pas la placer dans la bouche d’un bouffon. Et notre tradition encore est faite de clarté, d’ordre et de méthode ; mais le drame romantique n’est pas seulement le mélange de tous les genres, de tous les tons et de toutes les langues : c’est la confusion universelle.