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respect ! » Ce Didier, avec ses neuf cents livres de rente, risquait de placer son cœur beaucoup plus mal. Plutôt que la fatalité, c’est sa chance qui lui fait rencontrer, à lui indigne, une maîtresse si considérée. Mais ici Marion n’est pas Marion, c’est la Courtisane, par une lettre majuscule. Il fallait qu’elle fût plus honnie, pour être ensuite plus vénérée. C’est cette transfiguration par l’amour qui est, dans ce drame, le coup de folie. Car le personnage n’était pas nouveau dans la littérature : c’est celui de la « courtisane amoureuse. » Le XVIIe siècle en avait fait la Constance des Contes de La Fontaine, et le xviiie Manon Lescaut. Que Manon soit devenue Marion, que la courtisane ait retrouvé dans l’amour une virginité, l’absurdité en éclate maintenant dans une lumière impitoyable, dans un jour cru et criard.

Le drame romantique fait bon marché de la vérité humaine : ce n’est pas pour s’embarrasser de la vérité historique. On a souvent répété que le poète est maître de modifier à son gré les données de l’histoire. C’est une affirmation beaucoup trop catégorique et qui ne va pas sans toute sorte de nuances et de réserves. Car on se demande où l’écrivain prendrait le droit d’altérer ce qui est. Au surplus, ce droit il ne se l’est jamais reconnu ; mais au contraire épiques ou tragiques ont toujours prétendu se conformer scrupuleusement aux faits. Auditeurs ou lecteurs seraient aussi bien gênés par une transposition de la réalité historique allant à l’encontre de ce qu’ils en savent. Il est vrai seulement que nous savons fort peu d’histoire. Notre ignorance nous rend complaisans. Et telle est la mesure où nous permettons au poète de trahir l’histoire : c’est à condition que nous ne nous en apercevions pas. Cela explique que la partie historique dans Marion de Lorme nous trouve sans indulgence. Que Victor Hugo dans Hernani ou dans Ruy Blas donne un libre cours à sa fantaisie, nous en sommes à peine choqués : ce sont choses d’Espagne. Mais il nous est affreusement pénible de voir transformer en de risibles ou sinistres fantoches un Louis XIII et un Richelieu. Nul n’ignore aujourd’hui que la légende d’un Louis XIII opprimé par son premier ministre et sans cesse conspirant pour secouer sa tyrannie, a été réduite à néant. Nous savons ce que vaut cette conception d’un cardinal bourreau, altéré de sang, maniaque de meurtre et jouant avec les têtes qu’il fait couper. Nous ne sommes plus des enfans ; nous ne consentons plus qu’on appelle Croquemitaine pour nous faire peur. Ces fâcheuses exhibitions nous causent un singulier malaise.

Dira-t-on que le théâtre a ses mérites spécifiques, et qu’il convient d’apprécier Marion de Lorme en tant que pièce de théâtre ? Mais c’est la