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ceux qui suivront. Didier, Marion, Nangis. Laffemas, Louis XIII, l’Angély reparaîtront sous d’autres noms, mais avec les mêmes rôles : ce seront le jeune premier, l’amoureuse, le vieillard, le traître, le roi et son bouffon. Tout le personnel de ce théâtre est déjà réuni, au grand complet, dans les attitudes raides que Victor Hugo sera incapable de renouveler et de varier. Les moyens de théâtre sont choisis une fois pour toutes et ce sont ceux du mélodrame. Dès le premier acte, la disposition du décor et le jeu des entrées et des sorties sont éminemment significatifs. Car il y a dans la chambre de Marion une porte et une fenêtre. Mais c’est la fenêtre qui sert de porte. Didier, venant au rendez-vous, ne manquera pas d’escalader le balcon ; c’est par le même chemin qu’il dévalera, sitôt qu’il entendra ferrailler dans la rue ; et par là encore qu’il rentrera, accompagné de Saverny. Tel est l’usage pour qui veut s’introduire honnêtement chez les gens. Dans le théâtre de Victor Hugo, on entre par la cheminée, par le plafond ou par le mur ; les portes ne servent, qu’à condition d’être secrètes. C’est un détail entre cent autres, mais qui tous nous mènent à la même conclusion. Certes ce théâtre différera de la tragédie classique, mais il sera plus qu’elle éloigné de la vie réelle. Ce sera la pièce à grand spectacle : nous aurons des duels et des exécutions capitales, des geôles et des échafauds. Ce sera la pièce à grands éclats de voix : nous aurons des digressions et des déclamations, du lyrisme, de la satire, de l’éloquence, et des drôleries, et des niaiseries, et de magnifiques envolées. Tous ces élémens se trouvent déjà combinés dans Marion de Lorme, peut-être même en des proportions plus harmonieuses que dans aucun des drames qui suivront. Cela fait la valeur de l’œuvre replacée à sa date.

Mais le public, même lettré, ne saurait se mettre au point de vue dont se contente l’historien des lettres. De l’œuvre représentée devant lui il reçoit une impression immédiate. À cette impression, non pas instinctive, mais irréfléchie, deux faits concourent. D’abord, l’œuvre a continué de vivre ; elle a eu le temps soit de vieillir, soit, au contraire, de dégager l’âme d’éternelle jeunesse qui était en elle. Puis, le public, lui aussi, s’est modifié : il est devenu indifférent ou hostile aux formes d’art qui le charmaient naguère, et dont il aperçoit maintenant l’insuffisance ou la duperie. Il échappe aux séductions de la mode pour s’attacher uniquement à ce qui dure. C’est ce jugement qu’il est périlleux pour une œuvre d’affronter ; c’est celui qu’on sollicitait du public au sujet de Marion de Lorme et que pour notre part nous avons à enregistrer.