Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 39.djvu/443

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

a été un enterrement ; quant à Antony, on n’oserait plus le jouer qu’en temps de carnaval. Il fallait en venir à Marion de Lorme, qui, depuis un peu plus de vingt ans, n’avait pas reparu à la scène.

L’épreuve en valait la peine, car pour l’historien des lettres, Marion de Lorme est une des pièces les plus intéressantes de Victor Hugo. C’est la première en date, puisqu’elle fut écrite avant Hernani, et, à la différence de Cromwell, qui d’ailleurs était une tragédie, écrite pour être jouée. Elle nous renseigne sur les origines, sur la naissance et la formation du drame de Hugo ; elle nous montre le jeune poète en train de devenir auteur dramatique. D’abord elle accuse le lien entre le drame et un autre genre, formé avant lui et qui l’avait précédé dans la faveur du public : le roman historique. L’analogie du sujet, des personnages, des épisodes, est frappante avec le Cinq-Mars d’Alfred de Vigny. Louis XIII et Richelieu, le cardinal et sa litière, Laffemas sous le nom de Laubardemont, et le château de Chambord, et la prison, et le supplice des deux amis, tout y est. Le personnage de Marion de Lorme occupe dans le roman un chapitre entier, et Vigny, pour nous en tracer le portrait, a pris le soin — extraordinaire — d’utiliser les indications des contemporains et d’en tenir quelque compte. « Celle qui parlait était une femme de vingt-quatre ans environ, grande, belle, malgré des cheveux noirs très crépus et un teint olivâtre… Sa figure, toute passionnée qu’elle était, semblait incapable de se ployer au sourire. » Dans ce chapitre de la Lecture, — où Milton se rencontre avec Molière ! — Vigny parle des poètes du XVIIe siècle et des beaux esprits de l’Académie, tout à fait dans le même sens qu’en parlera Victor Hugo. Même goût pour le pittoresque de l’époque Louis XIII, et surtout même conception, ou même travestissement de l’histoire. Il n’y a pas de doute que ce ne soit en Usant le roman de son ami, que Victor Hugo conçut la première idée de son drame.

Encore fallait-il trouver le moyen de transposer le roman et de l’adapter à la scène. Sur ces entrefaites, Alexandre Dumas donnait Henri III et sa cour. La formule était trouvée : elle consistait à machiner d’une part un drame de passion valant par lui-même, à intriguer une aventure suffisamment extravagante, puis à brosser un tableau d’histoire, enfin à raccorder tant bien que mal le drame et le tableau. Ce fut pour Victor Hugo la révélation. Il n’eut plus qu’à se mettre au travail ; il enleva l’ouvrage avec sa rapidité coutumière. Henri III avait été joué en février 1829, Marion de Lorme fut écrit dans le mois de juin de la même année.

Ce premier drame de Hugo contient déjà, plus qu’en germe, tous