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elle-même, qui ne puisse le refléter, et sur laquelle le génie, par un acte d’amour, ne puisse, s’il lui plaît, répandre la poésie.

Il ne faut donc pas trop sourire d’une méprise, si c’en est une, après tout généreuse, et à laquelle Rembrandt doit le meilleur de sa gloire. Il ne faut pas non plus en être trop les dupes. Si proche de nous qu’on fasse l’artiste à cet égard, il est impossible de prêter absolument à un Hollandais du XVIIe siècle des pensées ou des sentimens du nôtre. L’anachronisme est insoutenable. Et puis, comme cette figure d’apôtre manque de nuances ! On nous dit que Rembrandt est « peuple. » Mais il ne l’a pas toujours été ! Il a eu sa crise de dandysme, lorsqu’on le voit fringuer, piaffer, narguer, se grimer en capitaine, asseoir, comme dans le tableau de Dresde, sa femme sur ses genoux, et faire sonner haut le tapage de sa fortune. On exagère la part du pessimisme dans son œuvre. Rembrandt n’a pas toujours désespéré de la vie. Une foule de ses tableaux sont un hymne à la joie. Prétendre qu’il n’a eu ni besoin de noblesse, ni besoin de beauté, quelle erreur ! et quel artiste les ignore ? Rembrandt est fou de luxe, de parures, de beaux atours, des choses précieuses qui ajoutent des grâces à la vie. Voyez ses portraits de Saskia : ils ruissellent de joyaux, de fleurs ; et quelles étoffes, quels brocarts, quelles fourrures, quelles aigrettes ! La beauté ? mais il l’adorait. Les femmes ? Il en a eu trois : et ce ne serait pas là un amoureux ! A quel moment de son existence a-t-il pu se passer d’une atmosphère de caresses ? Son art est le flagrant aveu de sa sensualité.


Corps féminin qui tant es tendre,
Poli, souef et gracieux…


Qui l’a exprimé comme lui, par plus de délicatesses, de rondeurs, d’élasticités, avec un tel amour des substances et de la vie ? Sans doute Saskia ni Hendrickje ne sont point des beautés correctes : mais n’ont-elles pas leur charme, lequel a bien son prix, même après la Joconde ? Pels leur reproche de conserver aux genoux, dans l’immortalité de l’art, les traces « honteuses » de leurs jarretières ; est-ce donc un crime d’être une vivante ? On a parlé de ces « maritornes. » et il est vrai qu’il y a dans quelques-unes de ces figures un parti pris de crudité qui ressemble à de la colère. Gersaint écrit de l’une d’elles qu’elle est un « vray remède d’amour ». Qui sait si un scrupule, un repentir religieux