Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 39.djvu/423

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Watteau devient célèbre avec ses Fêtes galantes. Chardin est reconnu pour le premier peintre de son siècle, et n’est qu’un peintre de nature morte et de scènes bourgeoises. Le goût s’élargit, perd de sa morgue et de ses grands airs. On découvre dans le monde beaucoup de choses qui ne se trouvent pas dans les statues antiques, et n’en sont pas moins dignes du regard des peintres et du souci de l’art.

La transformation des mœurs aide singulièrement ici la besogne des artistes. La « Cour » cesse d’éclipser ou d’absorber la « Ville. » L’art n’est plus exclusivement un service d’Etat. L’héroïque, le pompeux tombent en désuétude. Un particulier n’a que faire des Actes des Apôtres ou de l’Histoire d’Alexandre. Le cadre même de la vie, la maison ou l’hôtel, se réduisent à des proportions plus intimes. Il y a maintenant un art moins ambitieux que l’autre, fait pour la vie privée, et à sa ressemblance. Le goût, pendant trois quarts de siècle, devient presque tout hollandais. « Nous avons tort peut-être, disait un curieux, mais nous aimons ces sortes de pièces qui nous représentent au vrai ce que nous sommes dans l’habitude de voir tous les jours. Nous y reconnaissons les usages, les plaisirs et le tracas de nos paysans. Ils sont peints selon leur nature, nous croyons les voir et les entendre, tout y parle, voilà ce qui nous séduit. » Ces paroles sont d’un Hollandais, mais c’est Gersaint qui les rapporte, Gersaint, l’ami de Watteau, son marchand et presque son apôtre. Et toute la France d’alors pense comme Watteau et comme Gersaint. Depuis la comtesse de Verrue, la « Dame de Volupté, » qui en inaugura la mode, jusqu’à Choiseul, Boisset, Calonne, toutes les grandes collections du siècle ne consistent qu’en peintures flamandes et hollandaises. Les Pays-Bas sont le Paradis de la curiosité. L’Italie ne fait plus ses frais. On s’avoue que depuis cent ans il ne s’y peint plus rien qui vaille. En fait de chefs-d’œuvre, tout ce qui pouvait s’emporter, n’y est plus : tout est déménagé, hors ce qui tient aux murs, et le goût s’en détourne ou achève de se blaser. Rappelez-vous la visite de Candide au seigneur Pococurante, et ce qu’il lui entend reprocher à ses Raphaëls : « On dit que c’est ce qu’il y a de plus beau en Italie, mais ils ne me plaisent pas du tout. La couleur en est très rembrunie, les figures ne sont pas assez arrondies et ne sortent point assez ; les draperies ne ressemblent en rien à une étoile ; en un mot, je ne trouve point là une imitation vraie de