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de Louis XIV, c’est sous la forme hollandaise que se pose la question des arts et des littératures du Nord. On eut ainsi très tôt chez nous un premier aperçu de la gloire de Rembrandt.

Naturellement, c’est le graveur qui fut d’abord connu. Dès 1631, ses estampes, les Têtes orientales et les Têtes d’études, sont populaires à Paris. C’est, à la vérité, grâce à un stratagème : elles se vendent, pour des portraits, Racocsy, Gaston de Foix, Philon le Juif, l’Eunuque de Candace et Scandrebec, roi d’Albanie ! C’était ce qu’il fallait aux badauds ; un certain Jacques Langlois, dit Ciartres, se fit une industrie de cet innocent maquillage. Mais il y a aussi un petit cercle de curieux que l’art de Rembrandt intéresse. On voit un Balaam de sa main chez Lopez, agent de Mazarin en Hollande, un fripon qui avait du goût : il possédait encore l’Arioste de Titien et le Castiglione de Raphaël. Et le nom de l’artiste s’écrit de cinq ou six manières différentes, Rhinbrandt, Rambran, Rainbrant, mais on le prononce et on l’écrit. Et on ne mesure pas son génie dans toute sa profondeur, mais on le trouve amusant : c’est un original qui divertit les dilettantes. L’abbé de Marolles goûte ses « caprices. » Et Samuel Sorbière, dans un très brillant paradoxe sur Scarron, lui compare spirituellement les « grifonages » et les « crotesques » de Callot, de Rembrandt et autres « touches hardies, » dont le vulgaire ne fait que rire, mais où les connaisseurs distinguent mille pensées exquises, et les « raisonnemens d’une liante philosophie. » Il en parle comme La Bruyère fera de Rabelais : ce n’est pas une injure. Et Victor Hugo même pense encore comme Sorbière, lorsqu’il fait de Scarron et de Rembrandt deux « Mages. » Il est seulement plus pontifiant.

Ainsi Rembrandt, de son vivant même et en pleine période classique, a déjà commencé à prendre pied en France. Il est tout prêt à s’emparer d’un rôle plus important. L’occasion ne se fit pas attendre. Sainte-Beuve a comparé le XVIIe siècle à un pont, aux arches majestueuses, décoré de sévères statues ; et tandis que là-haut, dans cette noble perspective, passe avec toute sa pompe le cortège du grand règne, par-dessous ne cesse de couler le courant des idées ennemies, qui semblent un moment vaincues, mais qui vont reparaître tout à l’heure au grand jour, et former le torrent du XVIIIe siècle. Dès 1680, on assiste à un retour offensif du libertinage. Et les doctrines nouvelles éclatent avec ampleur, avant la fin du siècle, dans la fameuse querelle