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fait le Saint Mathieu, l’Homère et le Saül, la Fiancée juive et les Syndics, la Flagellation de Darmstadt, la Famille de Brunswick, l’Enfant prodigue de l’Ermitage. Jamais il n’a été plus grand. Personne ne le comprend plus. Son génie, à défaut de la honte et de la ruine, se chargerait de faire autour de lui le vide.

Houbraken rapporte qu’un singe qu’avait Rembrandt, étant venu à mourir comme il était en train de peindre un portrait de famille, rien ne put l’empêcher d’introduire dans le tableau la figure de l’animal, à la juste indignation de ces honnêtes personnes. Cette fable résume assez bien la mésintelligence qui ne pouvait tarder à brouiller l’artiste et le public. Rembrandt était trop « différent. » Le fond de l’esthétique bourgeoise est l’amour du fini. Le peintre hollandais typique, tel qu’il nous est connu grâce à Vermeer et à Gérard Dow, est un homme rangé, méticuleux, patient, et d’une propreté ! L’atelier, éclairé par le jour froid et comme impersonnel du Nord, est en ordre comme une cabine de navire. Tout est luisant, poli, lustré, nacré, même la peinture. Gérard Dow va jusqu’à peindre dans sa maison à l’ombre d’un petit parasol, pour protéger son panneau frais des poussières aériennes. Et un jour que Sandrart lui faisait compliment du merveilleux rendu d’un balai, « grand comme l’ongle, » et dont chaque brin était visible, l’artiste répondit qu’il y avait encore sur ce petit morceau pour trois jours de travail. Avec Rembrandt, c’est autre chose. Chez lui, d’abord, c’est le chaos. Lui-même a l’air d’un Boer, vêtu en ouvrier, sanglé — un peu comme Tolstoï, — d’un ceinturon de cuir, coiffé d’un feutre gras ou d’un mouchoir en serre-tête : sordide avec cela, et le des bariolé de balafres multicolores, parce qu’il essuie ses brosses au derrière de sa blouse. Il fallait voir que devant lui quelqu’un, pour admirer, mît le nez sur sa peinture ! « Prenez garde, ricanait-il, cela ne vaut rien à respirer ! » Il prétendait d’ailleurs qu’un tableau est « fini » dès que l’auteur a dit ce qu’il avait à dire. Et quand on critiquait ses amas de couleurs, il répliquait rudement : « Suis-je un peintre ou un teinturier ? » Ses dernières œuvres n’ont plus de nom dans la peinture. L’action est nulle. Les gestes respirent une inertie, une torpeur étranges. Le décor, l’entourage, le moment disparaissent. Une indifférence absolue pour tout ce qui n’est pas le « ton » s’empare du peintre sexagénaire. Sa vue baisse. de tout le vocabulaire il ne retient