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ou le Jeune Caton consul faisant arrêter son père par ses licteurs ; et c’est surtout la Bible, à ses yeux l’histoire des histoires. Il a respiré de bonne heure cette atmosphère leydoise, chargée d’abstractions et d’idéologies, cet air des belles humanités qui l’emportait à mille lieues de l’existence vulgaire. Il a goûté ce fort alcool intellectuel : le démon lui en est resté. Jamais il n’a été franchement de son temps et de son pays. Au milieu de cette école hollandaise, si locale, si bourgeoise, si cordialement éprise de son petit terre-à-terre et de son confort domestique, il est celui qui vit « ailleurs, » hors des lieux et des siècles, le rêveur à la tête pleine d’universaux, et toujours, plus ou moins, l’historien de l’éternité.

C’est là ce que ses contemporains ont admiré en lui, beaucoup plus que son « clair-obscur, » qui ne lui appartient pas en propre, et qui n’est même pas, en son fonds, plus hollandais qu’italien. Le génie de l’istoriatore, du favoleggiatore, pour lui appliquer le mot de Bernin parlant d’un autre artiste, voilà ce que la Hollande acclama dans Rembrandt. Cela nous semble un peu étrange. Nous nous laissons tromper là-dessus, dans ses ouvrages, par une « couleur locale » qui passe en excentricité celle même de Shakspeare. La critique d’alors la tenait pour irréprochable. Nous avons sur ce point une opinion très explicite, celle du poète Philippe Angel en son Éloge de la peinture (1641). Ce qu’il trouve d’admirable chez l’auteur du Mariage de Samson, c’est la « profonde connaissance » des coutumes des « anciens, » qui se tenaient « couchés » à table sur des lits, « en sorte qu’ils mangeaient appuyés sur leurs coudes. » Ce sont, Dieu me pardonne ! les raisons sur lesquelles se fondait en France la réputation de Poussin. Et pas une fois Rembrandt n’a manqué à ce protocole. Les anges reçus chez Abraham, dans la célèbre eau-forte, sont accroupis à l’orientale. S’il y en a un de barbu, c’est pur scrupule d’exactitude ; l’artiste a copié une miniature persane : qui en saurait plus qu’un Persan sur la Mésopotamie ? Et si, dans le fond de l’estampe, on remarque un gamin assez inexplicable, qui tire de l’arc par-dessus un mur, qu’on veuille se reporter au texte, on y lira comment le petit Ismaël fut élevé au désert et devint bon archer. On ne peut être plus littéral. Et soyons sûrs que ces oripeaux, ces tiares, ces turbans apocryphes, cette friperie de pacotille dont le peintre affuble ses Saüls, ses Siméons et ses Caïphes, sont à ses yeux le