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Ah ! s’il se pose, il faut le courber sans le prendre
Sur ce livre entrouvert, céleste et décevant ;
Chaque aile est une page impossible à comprendre,
Un grimoire secret que feuillette le vent.

Apprendras-tu le sens des divins caractères
Qui composent les mots les plus mystérieux
Et qui furent sèches avec cette poussière
Qui teindrait d’un or brun tes doigts audacieux ?

Ne salis pas ta main de la vivante cendre
Du rêve, ou de l’amour plus fugitif encor ;
N’abîme pas son aile. Il ne faut pas étendre
Au cercueil de cristal son immobile essor.

Et pour récompenser, ô sage, ton attente,
Devant ce papillon que tu pouvais saisir,
Déjà, d’une aile d’ombre et de parfums l’évente,
Le grand sphinx ténébreux de l’éternel désir.


CONSOLATION


Ne vous plaignez pas trop d’avoir un cœur très sombre,
Vos yeux seront plus beaux quand vous aurez pleuré.
Il naîtra de vos pleurs, il va croître à votre ombre
Quelque lys inconnu qu’on n’a pas respiré.

Ne vous plaignez pas trop d’avoir été crédule
Et d’avoir cru sans fin ce qui ne vit qu’un jour,
Car vous comprendrez mieux le grave crépuscule
Qui saigne comme un cœur qu’a déchiré l’amour.

Ne vous plaignez pas trop de la douleur divine ;
Ceux-là qui sont heureux n’ont pas bien écouté
Le battement sacré dont s’enfle leur poitrine ;
Ceux-là qui sont heureux, ils n’ont pas existé !

Ne vous plaignez pas trop de cette amère étude,
Vous contemplerez mieux ce qui passe et se perd…
Et vous saurez enfin, sœur de sa solitude,
Goûter le soir qui meurt dans un jardin désert !


Gérard d’Houville.