Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 39.djvu/401

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Avez-vous, comme moi, cru qu’il allait nous dire :
« C’est ici le repos. Vous n’irez pas plus loin.
Le désir du retour à mon seuil tiède expire ;
C’est moi qui, désormais, de vos jours prendrai soin.

Vous allez rafraîchir vos pieds dans mes fontaines.
Tout ce qui vous est cher vous rejoindra demain ;
Et l’infini trésor des voluptés certaines,
C’est moi qui l’ai gardé pour vos petites mains.

Ici l’on est heureux. C’est ici qu’on oublie.
C’est ici que l’amour habite et vous attend ;
Ici que, sans regret, sans douleur, sans envie,
L’âme se sent joyeuse en un beau corps content.

Femmes aux tendres yeux pleins de choses trop brèves,
Je cacherai vos fronts sous un tissu divin,
Et je vous donnerai l’éternité du rêve,
Que vos cœurs dévoilés n’avaient cherché qu’en vain. »

— Mais, sur son beau divan aux couleurs éclatantes,
Le vieillard inclina son turban blanc, deux fois,
Et nous fit simplement donner par les servantes
Quelques brins de jasmin pour parfumer nos doigts.


LA FONTAINE TURQUE


Fontaine ! on a voilé votre si frais visage
Sous le fer ajouré d’un sombre et lourd grillage ;
Ainsi la dame turque au bel œil étonné
Sous un grand-voile noir se cache jusqu’au nez.
Fontaine, est-ce qu’un soir, votre maîtresse brune
S’est, tout au fond de l’eau, vue auprès de la lune ?
Garde-t-on cette image en vous, cruellement,
Pour que vous ne puissiez la rendre à leur amant ?
Ou, les sages ont-ils trouvé, douce fontaine,
Votre onde trop pareille à la femme incertaine ?
Car brillante et limpide ainsi que de beaux yeux,
Ondoyante aussi bien qu’un corps voluptueux,
Aussi douce à toucher qu’une peau froide et lisse,
Et de fraîcheur remplie, et d’ombre et de délice,