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Tes rêves mourront-ils, comme ces vieux caciques
Dont le front rouge avait la couleur du soleil,
Et verras-tu finir, tel qu’un peuple héroïque,
Tes espoirs, ô mon fils, à mon espoir pareil ?

Sauras-tu conquérir, plus beau qu’un nouveau monde,
L’amour, mystérieux et toujours étranger ?
Ah ! bientôt ton vaisseau va vouloir fendre l’onde
Bientôt tu vas partir, ô charmant passager !

Un favorable vent va chanter dans tes voiles ;
Déjà, tu crois au loin voir un cap inconnu,
Déjà, tes jeunes yeux cherchent d’autres étoiles,
Car tout paraît certain au désir ingénu.

O mon fils ! puisses-tu faire un heureux voyage
Et t’enivrer toujours d’un triomphant destin ;
Mais si tu mets le pied sur un âpre rivage
Où le morne soleil attriste le matin,

Si les fruits tentateurs ont le goût de la cendre,
Si l’île est sans abri, si la rive est sans fleur,
Alors, ô mon enfant, qu’il te faudra comprendre
Qu’on n’exauce jamais tout le vœu de son cœur,

Souviens-toi ! Souviens-toi, de la tour solitaire
Dont l’ancêtre guerrier illustra son blason,
Et sache dédaigner ces plaisirs de la terre
Qui portent avec eux toute leur trahison.

Et, fort d’un bel orgueil, détournant les yeux sombres
De tout ce qui nous leurre, et nous fuit, et nous ment,
Vois monter, vois grandir, même sur des décombres,
La noble tour du songe et du renoncement !