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Je veux vivre impassible, enfin calme, enfin sage.
Et toi, le seul désir, toi, l’irréalisé,
Ne me montre jamais ton trop tendre visage,
Ou bien aveugle, après, mes yeux désabusés.

Mais la voix sans écho du rêve inaccessible
A répondu dans l’ombre à mon obscur sanglot.
Et la voix dit : « Pourquoi vouloir être insensible,
O cœur impatient ! tu le seras trop tôt.

Laisse aux morts l’éternelle et noire indifférence,
Et sans jamais atteindre un bonheur décevant,
Voluptueusement savoure ta souffrance :
O cœur ingrat ! souffrir, c’est être mieux vivant ! »


LES EAUX DOUCES OU SONGE


Aux Eaux Douces d’Asie, en un vert paysage
D’arbres et d’eau,
J’ai deviné souvent plus d’un tendre visage
Sous le réseau

Des voiles transparens qui recouvrent la joue
Et les cheveux,
Mais laissent voir le rêve éternel qui se joue
Au fond des yeux.

Dans vos caïques peints, mystérieuses ombres,
J’aimais vous voir,
Sous les arbres plus frais, et sur les flots plus sombres
Glisser le soir,

A l’heure où quelquefois le jour mourant prolonge
Son bel adieu,
Peut-être au fil de l’eau, peut-être au fil d’un songe
Funèbre ou bleu.