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le français était la langue de la haute culture et des relations internationales. Mais, à mesure que grandit le royaume de Roumanie, qu’il prend sa place dans la vie politique européenne et que des écrivains nationaux élèvent le roumain à la dignité de langue littéraire, des rapports commencent à s’établir entre les Roumains du Pinde et ceux des Karpathes. Des Valaques, établis en Roumanie, fondent un « Comité pour la résurrection de la nationalité roumaine en Turquie. » En 1868, Apostol Margarit, qui allait devenir l’apôtre du roumanisme, ouvre à Avdéla la première école roumaine : persécuté par les Grecs, il trouve un appui auprès des autorités turques, il multiplie les établissemens d’enseignement et décide quelques prêtres à célébrer l’office, ou au moins à lire l’Epître et l’Evangile en roumain. Athènes et le Phanar, émus d’une telle audace, se liguent. Si, à ce moment, les Grecs avaient compris que chaque nation qui prend conscience d’elle-même a droit à l’existence, et qu’en un siècle d’émancipation et de résurrections nationales il est dangereux, et d’ailleurs inutile, de s’opposer au développement d’un peuple qui veut vivre ou de prétendre étouffer une langue, le mouvement roumanisant ne serait pas devenu un mouvement anti-hellénique ; les Valaques auraient parlé le roumain sans cesser de avoir le grec ; ils seraient restés fidèles à leur amitié traditionnelle pour un royaume qu’ils ont tant contribué à fonder et ils ne se seraient pas séparés du patriarcat œcuménique. Mais les Grecs, exaspérés, par le schisme bulgare et par le mouvement slave en Macédoine, se demandaient avec inquiétude ce qu’il adviendrait de leur race s’ils laissaient croire que ces régions île l’Epire, de la Thessalie et de la Macédoine, revendiquées de tout temps par leur diplomatie au nom de l’hellénisme, sont en réalité peuplées de Valaques. Ils crurent pouvoir arrêter dès son origine l’essor du roumanisme. Si tous les Valaques hellénisans reprenaient conscience de leur nationalité originelle et devenaient roumanisans, la cause grecque serait désertée par ses plus énergiques défenseurs : « l’idée » perdrait ses meilleurs propagandistes. Mais est-ce bien par la menace et la persécution qu’on les retiendra ? Le patriarcat du Phanar, à défaut du gouvernement d’Athènes, devrait comprendre qu’il ne saurait s’opposer longtemps à ce que des prêtres et des évêques roumanisans emploient une liturgie roumaine ; comment ne serait-il pas obligé de tolérer pour les