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les étrangers, le Phanar apparaît comme le seul centre de vie chrétienne qui subsiste dans l’empire ottoman. En 1766, le patriarche grec supprime l’archevêché d’Ipek, et, en 1767, le siège métropolitain bulgare d’Ochrida ; la liturgie et la littérature bulgares sont poursuivies, proscrites sans merci ; les livres et les manuscrits bulgares sont brûlés, la riche bibliothèque de l’ancien patriarcat de Tirnovo est livrée aux flammes ; le clergé grec se fait partout l’auxiliaire et l’agent du vainqueur ottoman ; il tyrannise en son nom, servi le devant le maître Turc, oppresseur du Bulgare. Mais la langue et les traditions nationales, réfugiées dans les montagnes ou cachées au fond des monastères, résistent à tous les assauts, échappent à toutes les inquisitions. Le moine Païssius, de Rilo, écrit en 1762 son Histoire du peuple slavo-bulgare dont les Grecs ne parviennent pas à empêcher la diffusion : il rappelle aux Slaves un glorieux passé à demi oublié et sonne la première cloche de l’indépendance future. La résurrection de l’Eglise et du peuple bulgares se poursuit lentement, tandis que se désagrège la puissance ottomane et que l’Empire russe étend jusque sur le Balkan sa grande ombre protectrice ; la lutte sourde se poursuit, invisible du dehors, jusqu’à ce qu’en 1870, soit reconstituée l’Eglise autocéphale bulgare, l’Eglise de l’exarchat, que les Turcs tolèrent pour l’opposer au patriarcat phanariote. Sous le couvert de l’organisation religieuse se prépare lentement l’indépendance politique. L’insurrection des Bulgares précède et provoque la guerre de 1878, d’où la Bulgarie sort meurtrie, sanglante, mais vivante. San Stefano réalise l’unité, en un seul Etat, de tout le peuple bulgare que Berlin morcelle en trois tronçons, acculant la nationalité bulgare à de nouvelles luttes, à de nouveaux sacrifices, jetant la semence de troubles et de guerres qui ne cesseront pas de renaître jusqu’à ce que les limites tracées par Ignatieff soient entrées définitivement dans la géographie politique de l’Europe.

Les plaintes des Grecs n’avaient pas été étrangères aux décisions du Congrès de Berlin. Loin de se réjouir du recul définitif de l’Islam, ils voyaient avec dépit l’affranchissement des populations slaves qui, en même temps qu’elles secouaient le joug turc, s’émancipaient de l’oppression religieuse et intellectuelle de l’hellénisme. En 1875, beaucoup de Grecs servaient dans les rangs turcs pour réprimer les insurrections chrétiennes ; en 1885, quand la Roumélie signifia sa volonté d’être unie à la Bulgarie,