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France, c’est-à-dire dans une démocratie beaucoup moins assise que la démocratie suisse et où les passions ont beaucoup plus de vivacité et de violence.

On ne saurait trop le répéter, l’impôt personnel et progressif sur le revenu, bien loin de constituer une pièce essentielle d’un système fiscal rationnel, est simplement un reste de la fiscalité empirique et arbitraire du moyen âge. La France s’en est débarrassée à la Révolution. Il réunit le maximum de l’inégalité (à cause des dissimulations et des fuites) au maximum de l’arbitraire et de l’inquisition. Il met en fuite et, par conséquent, il perd pour le pays et les capitaux et parfois les personnes. Il aurait des effets analogues aux faits historiques réputés les plus calamiteux dans l’ordre économique, à l’expulsion des Maures et des Juifs d’Espagne, à la révocation de l’édit de Nantes. Ses répercussions inévitables, dans un pays surtout d’industries de luxe et de productions fines, atteindraient gravement toutes les couches de la population. L’impôt personnel et progressif sur le revenu, quelle qu’en soit la forme, quel qu’en soit le taux initial, doit être implacablement combattu et résolument rejeté. On peut et l’on doit améliorer nos contributions directes ; nous le demandons, quant à nous, depuis un quart de siècle : il faut réviser les évaluations cadastrales, mettre au courant notre contribution mobilière, y introduire la considération des charges de famille ; il est loisible, après mûre réflexion toutefois, d’ajouter quelques catégories à l’impôt des patentes ou à l’impôt sur le revenu des valeurs mobilières. Mais jamais on ne devra inoculer à notre démocratie le virus de l’impôt personnel et progressif sur le revenu. Ce n’est pas telle ou telle modalité, telle ou telle forme de cet impôt que l’on doit exclure ; c’est le principe lui-même. Que l’impôt personnel et progressif sur le revenu ait pour parrain M. Caillaux, ou tel autre ministre, peu importe ; ceux-là ne feront que le présenter et disparaîtront, une fois le principe voté ; le vrai père de l’impôt sur le revenu dans notre pays, celui qui en dirigerait les destinées et en conduirait l’évolution, ce serait M. Jaurès, — ou plutôt ce serait le collectivisme.


PAUL LEROY-BEAULIEU.