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Que les possédans résistent à ces projets manifestes de dépossession légale, c’est l’instinct de conservation qui les y porte.

L’impôt projeté serait le plus inégal des impôts non seulement à cause de l’injustice même de la progression, mais parce que les divers contribuables feraient tous leurs efforts pour échapper au lise et qu’ils y réussiraient très inégalement. Se soustraire à cet impôt, ce ne serait pas sans doute aussi aisé que certaines personnes se l’imaginent. On a beaucoup discuté, en ces derniers temps, le procédé des comptes joints dans les banques étrangères ; on a montré qu’il est loin d’être décisif, il offre souvent divers inconvéniens ; en tout cas, il n’est applicable que dans des familles très unies où il ne se produit aucune dissidence et où il n’y a pas d’héritiers mineurs[1]. Il ne faut pas ignorer, d’autre part, que l’État aura des espions et cherchera à avoir des informateurs sur les principales places banquières de l’étranger ; il voudra acheter des commis des banques étrangères pour se faire communiquer les copies des comptes des Français dans ces banques.

L’intérêt est, néanmoins, trop grand, la dissimulation se fera. On ne voit pas comment, par exemple, on pourrait empêcher un père de famille de distribuer, par anticipation, son avoir ou une partie entre ses enfans, de manière à descendre de plusieurs rangs dans l’échelle de la progression ; ce ne serait même pas là une fraude. Si encore un contribuable voulait garder dans son coffre-fort une notable partie de sa fortune en titres au porteur et aller lui-même en négocier les coupons à l’étranger, il serait malaisé de le surprendre. Or il n’est nullement rare, en province surtout, que des particuliers gardent, en titres au porteur, dans leur coffre-fort, quelques centaines de mille francs. C’était même, avant la grande expansion des sociétés de crédit et de leurs succursales, un cas assez fréquent. Si l’on fait des sociétés de crédit et des banquiers les délateurs obligés de leurs cliens, cette pratique peut de nouveau se généraliser ; or, devant elle, le lise est, par la nature des choses, désarmé et impuissant ; en voulant trop extorquer par l’impôt sur le revenu, il n’y réussirait souvent pas et il compromettrait, dans une certaine mesure, le rendement des droits de succession.

  1. Voyez notre ouvrage l’Art de placer et gérer sa fortune, Delagrave.