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temps modernes a foisonné d’impôts de ce genre ; c’étaient des capitations graduées, des impôts dits de classes, parce que l’on rangeait les contribuables, d’après une évaluation approximative de leurs revenus, dans différentes catégories superposées, à chacune desquelles on demandait un impôt différent. La méthode était assez commode, elle était surtout sommaire et elle comportait beaucoup d’arbitraire. L’Einkommensteuer prussien n’est que le développement de cet impôt classifié qui s’appelait Classensteuer, littéralement, impôt de classes. Il en est de même des impôts suisses sur le revenu, de même aussi de l’impôt autrichien, et toutes ces taxes ont conservé encore cette forme de nombreuses catégories superposées, l’impôt s’élevant de l’une à l’autre et restant identique pour chacune d’elles.

Les impôts personnels et généraux sur le revenu ne sont donc aucunement, comme l’imaginent les personnes peu expertes en la matière, le fruit de la réflexion et de l’esprit de combinaison ; ils ont simplement leurs racines dans la fiscalité du moyen âge et des débuts du monde moderne. Ce sont des taxes empiriques qui ne se sont proposé aucun idéal social.

La France aussi a connu sous l’ancien régime les taxes de ce genre, capitations graduées et impôts généraux sur le revenu ; elle les a longuement pratiquées. C’était, sous leur dernière forme, dans le courant du XVIIe et du XVIIIe siècle, la taille et les dixièmes ou les vingtièmes, c’est-à-dire, pour ces derniers, les 10 pour 100 ou les 5 pour 100 du revenu ; ils formaient une branche importante des ressources soit régulières, soit extraordinaires, pour les jours de crise, de l’ancienne monarchie. On sait quel fâcheux renom ils ont laissé ; ils n’étaient pas moins exécrés que la gabelle.

Puisque Jean-Jacques Rousseau revient à la mode et que, d’ailleurs, il fut un des prophètes de la Révolution, il n’est pas hors de propos de relater ici un passage qui m’a frappé dans ses Confessions. Dans sa jeunesse (en 1732), il erre aux environs de Lyon : « Après plusieurs heures de course inutile, las et mourant de soif et de faim, j’entrai chez un paysan dont la maison n’avait pas belle apparence, mais c’était la seule que je visse aux environs. Je croyais que c’était comme à Genève ou en Suisse où tous les habitans à leur aise sont en état d’exercer l’hospitalité. Je priai celui-ci de me donner à dîner en payant. Il m’offrit du lait écrémé et du gros pain d’orge, en me disant que c’était