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pays. Mais aussi, que d’illusions semées le long du chemin ! Je vous avoue que j’ai des heures où je me demande si je ne me suis pas trompé, et si ce peuple, patient à la servitude, insatiable dès qu’on rend la main, n’est pas incapable de liberté. Je viens de passer deux jours à Compiègne. L’Empereur est dans les dispositions d’esprit les plus sages, les plus conciliantes et aussi les plus fermes. Il me semble n’avoir ni regrets de ce qu’il a fait, ni illusions sur le résultat. On dirait un philosophe faisant une expérience. En vérité, quand on le compare à ceux qui l’injurient, à ceux qui veulent le renverser, il ne perd pas à la comparaison. Il parle toujours de vous avec affection, j’allais dire avec tendresse. Il a surtout pour vous une grande estime. Et vous, que pensez-vous de tout ce gâchis ? Ne vous semble-t-il pas que l’heure est venue de défendre le terrain conquis contre ceux qui veulent perdre une fois encore la liberté ? Votre courage n’est-il pas tenté ? N’y a-t-il rien à faire contre ces gens, qui se cachaient dans l’abstention à l’heure du combat et qui maintenant sortent de leurs tanières pour tourner contre nous et contre l’Empire les armes que nous avons obtenues et que l’Empire a données ? N’y a-t-il pas un devoir à remplir envers le gouvernement pour ceux qui ont conseillé les réformes ? On dit que la politique extérieure vous sépare du gouvernement plus encore que la politique intérieure : il ne vous suffirait pas que l’Empereur fût éloigné, comme il l’est, de toute guerre de diversion ; vous seriez même résigné aux annexions des États du Sud si elles venaient à se produire. On dit encore que vous poseriez des conditions terribles si votre concours était jugé nécessaire. Moi, je crois vous connaître assez pour penser qu’il n’en est rien. Vous seriez aussi chaudement le défenseur d’une guerre vraiment nationale que l’adversaire d’une guerre de diversion. Et quant aux conditions, vous ne choisiriez pas pour les faire dures le moment où la cause libérale aurait besoin de vous. Si d’ailleurs vous avez tant obtenu sans être dans les conseils, que n’obtiendriez-vous pas dans un commerce de chaque jour ? Autant l’Empereur est instinctivement réfractaire au parlementarisme stérile du tiers-parti, autant il est accessible aux idées libérales et démocratiques. Allons, dites-moi que Saint-Tropez n’est pas la tente d’Achille et que vous n’êtes pas avec ceux qui jappent contre l’Empire pour cette misérable affaire de la prorogation. — Post-scriptum : C’est de Compiègne que je vous écris, car