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proposa de le décorer. Magne et Chasseloup se récrièrent. Le Bœuf insista, offrit sa démission : la décoration fut accordée. L’armée apprit ainsi que, dans les conflits, tous les jours imminens, elle ne serait pas désavouée par ses chefs et sacrifiée aux criailleries de la presse révolutionnaire.


II

Les députés de la Gauche voulurent prendre leur part à l’agitation. N’osant se montrer révolutionnaires par des actes, ils étaient condamnés à l’être par des paroles. Aussitôt la promulgation du sénatus-consulte, ils prétendirent que la Constitution exigeait la réunion d’un Corps législatif dissous dans les six mois, c’est-à-dire au plus tard le 26 octobre ; que la petite session de juillet ne saurait être considérée comme une convocation suffisante, et que, dès lors, la session devait être reprise immédiatement ou avant le 26 octobre. Le ministère, à juste titre, n’admit pas cette interprétation arbitraire. A ses yeux, l’exigence constitutionnelle avait été satisfaite par la session, quelque courte qu’elle eût été, et il restait maître de choisir l’époque où il ferait cesser la prorogation : il lui fallait se donner le temps de réfléchir, d’adapter son personnel aux exigences du régime nouveau et de ne pas se trouver, comme l’avaient été ses prédécesseurs, incertain et sans cohésion, aux prises avec une Chambre impatiente. La Gauche n’avait qu’à répondre à des argumens par des argumens, mais, comme si un retard insignifiant allait mettre l’Etat en péril, elle recourut aux sommations menaçantes. Kératry commença : « A un ministère de mauvaise foi ou incapable d’affronter les débats publics, à un sénatus-consulte accepté avec confiance et qui ne serait plus qu’un leurre, si l’action parlementaire, qui seule peut le vivifier, est étouffée, à un gouvernement épuisé par lui-même, incapable d’une ferme résolution, on devra répondre, le 26 au matin, par une mise en demeure au pouvoir exécutif méconnaissant la Constitution et faire appel à une nouvelle Constituante, car tous les intérêts souffrent ; ils comptent sur nous ; il n’y a pas d’autre moyen de les sauver. Donc au 26 ! » Le fougueux député convoquait ses collègues sur la place de la Concorde ; de là ils se rendraient au Palais législatif où, après avoir pénétré par la force, ils reprendraient leurs