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aurions eu deux au lieu d’une. Cette proposition nous a toujours paru malencontreuse, quoiqu’elle provînt d’une intention excellente : il ne peut y avoir dans un pays qu’une fête nationale, de même qu’il n’y a qu’un drapeau. S’il y en a deux, l’une devient inévitablement la fête d’une partie de la population, l’autre la fête d’une autre partie. Le 14 juillet serait devenu la fête des partisans de la Révolution, et celle de Jeanne d’Arc celle de ses adversaires. Il arriverait quelque chose de semblable à Orléans si une partie du cortège du 8 mai s’arrêtait pour prier à la Croix des Tourelles, et si une autre continuait sa route. Nous ne rechercherons pas comment le cortège se partagerait, ni quelle serait la proportion de ceux qui feraient halte avec le clergé à la Croix des Tourelles et de ceux qui s’en iraient le chapeau sur la tête. Nous ne nous demanderons pas si ces derniers ne risqueraient pas d’être les seuls fonctionnaires de M. Clemenceau, qui marqueraient par là leur désaccord avec la grande majorité de la population, spectacle toujours dangereux à donner. Nous nous contenterons de dire qu’une fête qui nous diviserait ne serait plus la fête de Jeanne d’Arc. On y déroulerait en vain un cortège d’opéra ; l’âme du passé n’y serait plus ; la signification historique et patriotique en aurait disparu.

Quant à savoir si les intérêts commerciaux de la ville d’Orléans en souffriraient plus ou moins, nous en laissons le soin à M. Rabier. Notre préoccupation est plus haute. N’en déplaise à M. le président du Conseil, il y a dans la mémoire des peuples des choses qui ne doivent pas évoluer ; il faut leur laisser leurs vieilles formes ; il faut en respecter les antiques traditions. C’est ce qu’on fait en Angleterre, pays pour lequel M. Clemenceau professe pourtant quelque estime, et l’Angleterre s’en trouve bien. La sèche logique de M. Clemenceau opère ici, comme elle l’a fait si souvent ailleurs, dans le sens de la destruction. On ne l’oubliera pas à Orléans, et on s’en souviendra dans le reste de la France, partout où on respecte et où on aime le souvenir de l’héroïne qui, ayant trouvé dans son grand cœur l’idée de patrie, a su en faire une réalité vivante, autour de laquelle elle a groupé dans un même sentiment tout ce qu’on s’applique aujourd’hui a désagréger et à désunir.


M. André Theuriet, qui est mort le 23 avril, était pour nous un trop ancien et trop précieux collaborateur pour que nous ne consacrions pas un souvenir à sa mémoire. Au mois de janvier dernier, il publiait ses derniers vers dans la Revue ; il y avait publié les