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le commencement et la fin de la politique ? Il n’a pas pu se retenir de reprendre de nouveau la plume, sa plume de polémiste cette fois, et d’adresser une lettre à la municipalité d’Orléans. Nous ne disconvenons pas qu’une partie de cette épître ne soit amusante. M. Clemenceau a l’esprit caustique et gouailleur. « Si le commerce Orléanais a besoin, écrit-il, de cérémonies religieuses, permettez-moi de vous dire qu’il fallait s’en aviser avant le vote de la loi. Or, bien loin d’en avoir témoigné aucun souci, la ville d’Orléans ayant deux députés, dont l’un avait voté pour la séparation et l’autre contre, a remplacé ce dernier par un représentant du régime nouveau. Nous sommes donc d’accord sur le principe. Alors, comment pourriez-vous demander au gouvernement de défaire ce que vous avez vous-mêmes voulu ? » C’est une question très grave que pose là M. Clemenceau, sous une forme humoristique. La vérité est que le pays vote souvent pour des députés dont il ne comprend pas le programme : il ne le comprend que lorsqu’il en voit les conséquences et qu’il en souffre. Alors, il se rebiffe et crie. Mais n’est-ce pas ce que vous avez voulu ? demande M. Clemenceau. Eh non ! ce n’est pas ce que le pays a voulu, mais ce qu’on lui a dit qu’il voulait, en lui en dissimulant les suites. Nous ne croyons pas du tout que l’attitude imposée par M. Clemenceau aux fonctionnaires d’Orléans soit une conséquence nécessaire de la séparation ; mais il le croit, lui, et d’autres le croient comme lui, et les Orléanais le croiraient peut-être s’il ne s’agissait pas d’eux. Seulement, il s’agit d’eux, et aussitôt ils protestent ! Il en sera de même pour beaucoup d’autres réformes que les uns réclament à grands cris et que les autres laissent faire, mais qu’ils ne comprendront et ne jugeront vraiment les uns et les autres que lorsqu’on les leur appliquera. Quelle surprise alors, et peut-être quelles clameurs !

Quoi qu’il en soit, la municipalité d’Orléans ne s’est pas laissé convaincre par les argumens trop personnels de M. Clemenceau. Celui-ci en a d’ailleurs présenté d’autres, où il a essayé de s’élever jusqu’aux sommets de la philosophie politique. « Je n’ai point à vous apprendre, a-t-il dit gravement, que l’évolution des sociétés ne se peut accomplir que par l’abandon progressif de certaines « formes accoutumées, » de certaines « traditions, » et par la substitution correspondante de certaines « formes, » de certaines « traditions nouvelles. » Il est possible que M. Clemenceau ait raison en principe, mais il s’est trompé en fait dans le cas dont il s’agit. L’évolution normale et durable se fait progressivement et spontanément, non pas d’un seul coup et d’autorité. Les circulaires ministérielles y sont merveilleusement