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marcher dans la rue sur le même trottoir ? Cette conception n’est pas du tout conforme à l’idée maîtresse de la séparation de l’Église et de l’État, et la preuve en est qu’elle est étrangère aux autres pays où ce régime existe. Lorsqu’une fête locale comprend dans son organisation la présence du clergé, le gouvernement ne s’y croit pas tenu d’interdire à ses agens d’y assister. La conception de M. Clemenceau ne se rapporte donc pas à la séparation des deux pouvoirs, mais à leur lutte constante et à leur hostilité congénitale. Dans sa pensée, ils sont des ennemis nécessaires, et il prononcerait volontiers sur eux le : « Ceci tuera cela » du poète, en admettant bien entendu que ce soit l’Église qui, finalement, doive périr. Mais pour nous qui croyons que l’État ne peut pas plus anéantir l’Église que l’Église ne peut anéantir l’État, la seule règle est la tolérance, nous oserions même dire le respect réciproque. Il a plu à l’État de faire l’insignifiante économie du budget des Cultes, et de renoncer pour cela à la nomination des évêques et des curés. L’avenir dira si l’opération aura été bonne pour lui, et si la paix intérieure y aura gagné. Mais l’Église n’est pas supprimée, parce qu’elle est séparée, et dès lors, quand on la rencontre, le mieux est de s’accommoder de son voisinage et de rester courtois, bien qu’on soit devenu étranger. C’est ce qu’on comprendra sans doute dans quelques années, mais ce que M. Clemenceau ne comprend pas encore. Il n’a la grande intelligence, ni du passé, ni de l’avenir.

L’émotion a été très vive à Orléans lorsqu’on y a connu sa nouvelle lubie. Cette émotion ne tenait peut-être pas toujours à des motifs très relevés, à ceux dont nous avons fait mention plus haut. Des intérêts matériels se mêlaient aux intérêts moraux qui étaient en cause. Les fêtes de Jeanne d’Arc sont un grand jour pour le commerce Orléanais. Il en est résulté que la révolte contre M. Clemenceau a été générale, et qu’elle s’est produite à la fois dans toutes les classes de la société. Quieta non movere est un sage précepte ; il ne faut pas toucher aux vieilles choses paisibles, on ne le fait jamais impunément. La municipalité d’Orléans, image fidèle de la population, a partagé l’inquiétude générale et a résolu d’en apporter l’expression à M. le président du Conseil. Maire et conseillers municipaux se sont mis en mouvement, et avec eux le député d’Orléans, M. Rabier, vice-président de la Chambre, dont les opinions radicales sont notoires. M. Clemenceau aurait mis le pied dans une fourmilière qu’il n’aurait pas provoqué une effervescence plus intense. Il a dû être bien étonné, car enfin n’avait-il pas la logique pour lui, et la logique n’est-elle pas