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incendie et, pareils à des flèches, ils allaient frapper ses pieds, ses mains et son côté[1]. »

De même Hiéronyme Carvaglio[2], après avoir souhaité pendant longtemps de participer aux souffrances de Jésus, vit descendre du ciel cinq rayons de sang mêlés de feu qui, dirigés vers son corps, lui donnèrent ce qu’elle avait demandé, de sorte qu’elle sentit aux mains et aux pieds la douleur des plaies de son Dieu, mais sans aucune trace extérieure, tandis qu’au côté gauche, s’ouvrait une large blessure qui saignait abondamment, particulièrement le vendredi. Enfin n’avons-nous pas vu, plus haut, Véronique blessée d’abord au cœur par une lance de feu, puis aux mains, aux pieds et au cœur par cinq rayons lumineux qui se transformaient sur la peau en autant de petites flammes ?

Ce n’est pas encore assez cependant que ces traits de flamme et de sang pour expliquer les pluies des stigmatisés ; on doit admettre que les images visuelles ont été soutenues et renforcées par des images plus profondes et tout aussi intenses, ces douleurs multiples qui, du fond de l’être, montaient, pour ainsi dire, à la rencontre de la lance et des clous et que les patiens ont si souvent décrites comme la partie essentielle de leur stigmatisation. Tandis que Jésus posait sa couronne d’épines sur le front de Véronique, elle éprouvait d’atroces douleurs, et quand Marguerite Ebner raconte sa passion, elle se souvient surtout de ses souffrances ; il y a dans les cas de ce genre une collaboration si intime du sens de la vue et de la sensibilité générale, que le mystique souffre en même temps qu’il voit. L’illusion est si complète qu’elle égale la réalité, et la théorie psychologique gagne ici en vraisemblance tout ce qu’elle gagne en précision.

On pourrait s’y tenir, sans plus de commentaires, si un détail très curieux, et en général passé sous silence, ne nous permettait d’entrer plus avant dans le mécanisme de la stigmatisation. Quand on parcourt la liste des stigmatisés, on s’aperçoit qu’ils portent tantôt sur l’épaule gauche, tantôt sur l’épaule droite, la marque de la croix et de préférence sur le côté gauche la marque de la lance. Qu’ils aient hésité pour l’épaule et se soient décidés au hasard, rien de plus facile à comprendre, puisque l’Évangile ne dit pas sur quelle épaule Jésus a porté sa croix et qu’aucune

  1. Nueva Maravilla de la gracia descubierla en la vida della venerabile Madre Sor Juana de Jesu-Maria. Madrid, 1674, par F. de Ameyugo.
  2. † 1585.