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que prendra dans ces conditions une auto-suggestion que rien ne limite ni n’arrête dans la conscience d’une extatique, et que soutiennent d’autre part les sentimens les plus violens ; tout de même que le ciel se réalise pour le stigmatisé dans des visions de gloire où il croit voir son Dieu face à face, l’entendre et quelquefois le toucher de ses mains, les plaies de Jésus crucifié, qu’il se représente vivement et avec une ardente pitié, finissent par lui être données dans sa chair.

Bien rarement d’ailleurs, c’est au cours d’une première extase, à la suite d’une seule contemplation que le mystique gagne ses stigmates. Pendant longtemps il travaille à les conquérir, à les réaliser à force d’imagination et d’amour ; avant d’être crucifié comme Jésus-Christ, il doit gravir comme lui son chemin de croix.

Nous avons vu que saint François d’Assise aimait à se retirer dans les solitudes de l’Alverne pour méditer sur le supplice du Golgotha ; il avait, pour ainsi dire, l’obsession du Calvaire, il vivait si complètement dans l’idée du crucifiement qu’il signait ses lettres d’un T, symbole de la croix de Jésus, et, dans sa retraite de 1224, il se trouva plus absorbé encore que de coutume par l’objet habituel de sa contemplation. Dans les journées qui précédèrent sa grande extase, il vécut sans cesse, par l’imagination et par la pitié, toutes les souffrances de son maître ; il exaspéra sa sensibilité par le jeûne, et quand le séraphin lui apparut, le matin de l’Exaltation de la Croix, François était prêt à réaliser dans son corps toutes les tortures qu’il avait savourées en esprit. Nous savons aussi que Véronique Giuliani méditait depuis son enfance sur la Passion du Christ, lorsqu’elle le vit lui offrir le calice de fiel ; nous avons signalé chez elle cette obsession du calice, ces gouttes de liqueur qui en tombent pour rejaillir sur elle en dards étincelans.

C’est seulement après ces visions obsédantes qu’elle obtient, beaucoup plus tard, son premier stigmate, la couronne d’épines, puis deux ans plus tard, à force de méditations et de jeûnes, la plaie du côté, et enfin, après une série d’extases que nous avons mentionnées, les stigmates des mains et des pieds.

On pourrait trouver facilement, chez Catherine de Ricci et chez la plupart des stigmatisés, ces mêmes obsessions préparatoires, ce même entraînement de l’imagination, qui se soumet, à