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III

Si le fait est réel, comment l’expliquer ? C’est ici que les difficultés commencent.

Elles s’évanouiraient d’elles-mêmes, ou tout au moins diminueraient beaucoup si les stigmates étaient tous d’ordre musculaire. Nous savons, en effet, par toute la psychologie du XIXe siècle, quel rapport étroit unit l’image et le mouvement ; sans cesse j’associe des gestes à demi consciens ou tout à fait inconsciens à des représentations ; je me représente vivement un poids lourd et je sens, dans mes muscles, commencer l’effort qui serait nécessaire pour le soulever ; je pense à une saveur désagréable, et je fais une moue de dégoût ; je souris, des yeux et des lèvres, au visage ami que j’entrevois au cours d’une rêverie ; si la sensation véritable provoque nécessairement une réaction motrice, l’image affaiblie de cette sensation la provoque presque toujours.

On ne saurait donc être surpris qu’au cours d’une extase, telle image vive qui s’impose à l’esprit et occupe à elle seule le champ de la conscience puisse déterminer des mouvemens associés ; et si les muscles s’immobilisent dans une attitude, dans un geste ou dans un acte, on a affaire à ces contractions permanentes qu’on appelle des contractures et qui sont si fréquentes dans l’hystérie. Si Catherine de Raconisio, après avoir rêvé dans une extase qu’elle portait la croix de Jésus, garda une épaule basse pendant tout le reste de sa vie, c’est qu’elle avait associé à la sensation d’un fardeau illusoire l’attitude qu’un fardeau réel eût nécessitée. De même Madeleine X… a marché pendant des années sur l’extrémité des orteils depuis qu’elle a été envahie, pendant une extase, par la représentation de son ascension prochaine. Dans un cas comme dans l’autre, il a suffi d’une contracture des muscles abaisseurs de l’épaule ou des muscles extenseurs du mollet, pour provoquer une attitude anormale et durable ; l’explication est aisée.

Mais la plupart des stigmates ne sont pas d’ordre musculaire ; ces durillons, ces escarres, ces hémorragies sont des troubles nutritifs ou circulatoires de la peau qui dépendent du système nerveux de la vie végétative. En temps ordinaire, nous savons