Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 39.djvu/211

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la croix, des clous et de la lance se sont montrés depuis saint François chez bien des femmes qui ne se recommandaient pas nécessairement par la pureté de leur vie. Ignace de Loyola, consulté un jour au sujet d’une jeune stigmatisée, répondit que les marques qu’on lui décrivait pouvaient aussi bien être l’œuvre du diable que celle de Dieu[1]et l’abbé Migne a pu écrire en des termes différens, mais dans le même sens : « La Charpy de Troyes était stigmatisée, la Bucaille de Valogne était stigmatisée, Marie Desvallée de Coutances était stigmatisée, et combien d’autres encore ! Nous en avons connu qui ne méritaient rien moins que le nom de saintes qui leur était attribué par un public railleur ou crédule[2]. »

Conclure des stigmates à la pureté sans autre information précise serait donc s’exposer à de graves mésaventures ; l’abbé Migne conseille de les éviter en jugeant de la valeur des stigmates d’après la moralité des stigmatisées, et c’est à cette solution prudente que s’arrête Benoît XIV dans son traité de la Canonisation des saints. C’est la subordination du merveilleux mystique à la morale, et Benoît XIV se trouve d’accord sur ce point non seulement avec les auditeurs de rote chargés d’instruire, un siècle auparavant, le procès de sainte Thérèse, mais avec saint Paul lui-même : « Et quand même j’aurais le don de prophétie et que je connaîtrais tous les mystères et toute la science, si je n’ai point la charité, je ne suis rien[3]. »

Telle est l’interprétation prudente du catholicisme ; la psychologie expérimentale n’en a-t-elle pas de plus positive à nous offrir ?

Elle se posera, avant toute analyse, un certain nombre de questions dont le première sera celle de l’authenticité des stigmates.

Sans doute beaucoup d’enquêtes bien conduites témoignent en faveur de cette authenticité. Frère Léon avait vu les stigmates de saint François d’Assise comme les médecins qui soignèrent Véronique constatèrent les siens, et nous n’avons aucune raison sérieuse de mettre en doute tant d’affirmations concordantes apportées par les témoins oculaires des faits de stigmatisation.

  1. Vie d’Ignace de Loyola, liv. V, ch. 10, par le Père Ribadenayra.
  2. IIe Encycl. Theol., t. XXV, p. 1066.
  3. Saint Paul, Corinthiens, II, 13. Cf. sur ce point le docteur A. Goin, Psychologie du Saint, p. 10-11. Bourges, 1905, chez Tardy-Pigelet.