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ses disciples passait pour la conception la plus parfaite de la vie monastique ; satisfait de la tâche accomplie, il s’était démis du généralat entre les mains de Pierre de Catane et il avait gagné l’Alverne pour y vivre dans l’ascétisme et la contemplation. Le sujet familier de ses méditations avait toujours été la Passion du Christ, qui, dans cette solitude, se présentait souvent à lui sous les traits du Crucifié ; François souffrait les mêmes souffrances et prenait part au même supplice. Mais, dans cette retraite de 1224, il se trouva, dit un de ses biographes, « plus absorbé que de coutume par son ardent désir de souffrir pour Jésus et avec lui. Ses journées se passaient partagées entre les exercices de piété, dans l’humble sanctuaire bâti sur la montagne, et la méditation, au milieu des forêts. Il lui arrivait même d’oublier l’église et de rester plusieurs journées seul dans quelque antre de rocher, à repasser dans son cœur les souvenirs du Golgotha. D’autres fois, il demeurait de longues heures au pied de l’autel, lisant et relisant l’Évangile et suppliant Dieu de lui montrer la voie qu’il devait suivre. Le livre s’ouvrait presque toujours au récit de la Passion, et cette simple coïncidence, bien explicable pourtant, suffisait presque toujours pour le troubler. La vision du Crucifié s’emparait d’autant mieux de toutes ses facultés que l’on approchait de l’Exaltation de la Sainte-Croix (14 septembre), fête aujourd’hui reléguée à l’arrière-plan, mais célébrée au XIIIe siècle avec une ardeur et un zèle bien naturels pour une solennité que l’on pourrait qualifier de fête patronale de la croisade.

François redoublait ses jeûnes et ses prières, « tout transformé en Jésus par amour et par compassion, » dit une de ses légendes. « Il passa la nuit qui précéda la fête seul en oraison, non loin de l’ermitage[1]. »

Le matin venu, il eut une vision que Thomas de Célano raconte en ces termes : « Il aperçut un homme de Dieu, une sorte de séraphin, qui avait six ailes et se tenait au-dessus de lui, les mains étendues, les pieds réunis, comme cloué à une croix. Deux ailes s’élevaient au-dessus de sa tête, deux se déployaient pour voler, deux enfin cachaient le corps tout entier. À cette vue, le bienheureux serviteur du Très-Haut fut rempli d’admiration ; mais il ignorait le sens de cette vision, et il était plein de

  1. Vie de saint François, par Paul Sabatier, p. 339, 1re édition.