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UN MATIN DE NOVEMBRE


Le cercueil s’avançait dans le morne Paris,
Sur la neige d’hiver roulant vers Montparnasse.
Il était pauvre et seul. Pas d’enfans, pas d’amis.
Le corbillard geignait lugubre sur la glace.

Vers la dernière étape il allait lourdement,
Et nul n’accompagnait la vieille loque noire.
Bientôt il se couvrit de flocons, blanchissant
Le sombre drap usé qui sembla de la moire.

Les passans regardaient, à peine curieux.
Point de compassion, beaucoup d’indifférence.
« Il n’est pas regretté ; sans doute un ennuyeux,
Un méchant, inutile au moins, vague existence : »

Voilà ce que pensaient les rares promeneurs.
Mais, une jeune femme ayant en main des roses,
Des roses de Noël, pour les vendre aux flâneurs,
Lança sur le convoi ses belles gerbes roses ;

Et sur le char tomba cette aumône du cœur
Donnée au malheureux qui partait solitaire.
— « Reçois, mort inconnu, ce bouquet, d’une sœur,
Et le suprême adieu que t’adresse la terre. »


Duchesse DE ROHAN.