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a rempli le moyen âge et divisé les deux écoles guelfe et gibeline, — celle de la suprématie du Pape ou de l’Empereur, — n’est peut-être point tout à fait absente de la pensée de Machiavel ; mais, s’il pose encore cette question, il la pose d’une façon très différente : il la transporte sur un autre terrain, il l’examine en sa réalité ; il juge de la qualité de l’une et l’autre puissance, spirituelle ou temporelle, aux fruits qu’elle a portés, à ce qu’elle a donné, à ce qu’on en peut attendre pour la cause qui lui est chère et sacrée par-dessus toutes, pour la libération, sinon pour l’unification de l’Italie. Machiavel n’est plus ni guelfe ni gibelin. Il est Florentin et Italien. S’il devait à tout prix être de l’un des deux anciens partis, il serait bien plutôt gibelin, à cause précisément de ses aspirations vers l’unité italienne, cette unité dût-elle se faire d’abord sous un prince étranger, sous l’Empereur, parce qu’il est convaincu que la Papauté est l’obstacle, l’a toujours été, le sera toujours. Mais, qu’il songe soit à l’unité de l’Etat en Italie, soit à l’unité du Prince dans l’État, aucune trace en lui des assimilations et allégories scolastiques de Gilles de Rome ou de Dante, — les mêmes pour l’Eglise et pour l’Empire : « Le corps n’a qu’une âme, l’univers n’a qu’un Dieu, les peuples ne doivent avoir qu’un chef, le monde ne doit avoir qu’un maître. »

Semblablement, ces Florentins de la fin du XVe siècle, Machiavel, Giannotti, Guichardin et les personnages qu’il fait mouvoir, Bernardo del Nero, Pagolantonio Soderini ne s’abstiendront peut-être pas absolument de s’exercer sur les mérites comparés de la monarchie, de l’oligarchie et de la démocratie : mais ils le feront historiquement, non plus théoriquement, c’est-à-dire qu’en cela aussi, par eux, la science politique se fera positive et réaliste. Elle deviendra par eux, à Florence, dans les dernières années du XVe et les premières années du XVIe siècle, ce que, pendant des siècles, et pour des siècles encore, elle demeurera en Italie : admirablement nette, pratique et efficace ; après quoi, veut-on que nous ajoutions qu’elle a quelque chose d’un peu étroit et de pas très haut, qu’elle est, à sa naissance, un peu communale ou municipale, et qu’elle ne s’élargit ou ne s’élève plus tard que jusqu’à être nationale, en cessant d’être impériale ou pontificale, sans aspirer à être mondiale ou universelle ? Je l’ajouterai donc, mais je l’en louerai, si la philosophie est une chose, mais si la politique en est une autre, et s’il n’y a de philosophie « que du