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des choses que j’ai alléguées aujourd’hui ; mais parce qu’elles sont peu, que je ne les possède pas bien à ma guise, et que je ne crois pas que ces livres traduits aient le suc qu’ont les latins, j’ai toujours évité de laisser voir que j’en aie même la plus petite notion ; j’estime que je gagnerai plus de réputation à être tenu pour tout à fait ignorant de ces choses, et pour parler sans le secours d’aucun auteur, que, voulant me servir du peu que j’ai lu, à donner motif d’être tenu pour un vantard, ou à laisser croire que je fais plus de compte de ces choses qu’en vérité je ne fais. » Tous sont d’accord en ce point qu’un homme qui a appris les affaires d’Etat, non dans les livres, mais par l’expérience et dans la pratique, ce qui est le vrai moyen d’apprendre, en sait autant et plus que philosophe qui fut jamais. Quand on dit tous, on ne dit pas seulement les quatre interlocuteurs des deux livres du Reggimento, mais tous les Florentins de ce temps-là, même lettrés et à demi humanistes : Machiavel, Guichardin, Giannotti, et d’autres qui sont moins célèbres, qui n’ont point écrit en forme de traité, foule quasi anonyme de magistrats ou d’ambassadeurs dont on n’a guère que la correspondance, mais qui n’en constituent pas moins, sous ces trois maîtres, et autour de quelques représentans aux noms glorieux, les Albizzi, les Strozzi, les Capponi, les Vettori, les Pitti, les Pazzi, les Ridolfi, une école politique nouvelle.

Et c’est la règle de cette nouvelle école de ne pas s’abandonner aux spéculations dogmatiques ou métaphysiques, de ne pas bâtir sur les nuages, de ne jamais perdre le contact avec la terre, avec un coin mesuré et délimité de la terre. Elle est positive ou positiviste, réaliste, et par-dessus tout florentine, ce qui signifie qu’elle rapporte tout à Florence. Les deux écoles qui l’avaient précédée, l’école guelfe et l’école gibeline, avaient, que ce soit la première ou la seconde, celle-ci ou celle-là, — celle-ci avec Dante et Marsile de Padoue, celle-là avec saint Thomas d’Aquin et Gilles de Rome, — conçu, tracé, développé le plan d’une monarchie universelle, le seul débat entre elles étant de savoir si ce serait à l’Empereur ou au Pape que seraient attribués le sceptre, la couronne et le globe, lequel des deux glaives briserait l’autre.

Dans l’école guelfe, Gilles de Rome, à l’exemple de saint Thomas d’Aquin, disserte, en général, de Regimine principum ; les Florentins, Guichardin, Giannotti, et Machiavel, malgré