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et des Ferdinand ; puis, au centre de la péninsule, à droite et à gauche, sur la Romagne et sur l’Ombrie, la nuée de corbeaux que chasse l’aigle, les tyranneaux fuyant devant César. Quelques républiques aussi : deux surtout, Venise et Florence elle-même. Le secrétaire put, sans quitter son bureau, méditer à loisir sur les mutations des gouvernemens, et sa ville natale lui fut comme un microcosme où il vit naître, grandir, mourir, où il vit se marier, se reproduire, se survivre en se transformant, et se conserver en se déformant, toutes les formes et toutes les combinaisons de formes qu’était capable, en l’espace de deux ou trois siècles, d’inventer l’esprit florentin.

Esprit mobile, subtil et « archisubtil, » suivant le mot de Dante, que le poète répète volontiers, et dont l’amertume ironique s’adoucit peut-être d’une secrète fierté : l’arcisottile ingegno fiorentino. — « O ma Florence… Athènes et Lacédémone qui firent les antiques lois et furent si policées, quant à bien ordonner leur vie se distinguèrent peu, au prix de toi qui fais de si subtils arrangemens qu’à la mi-novembre n’arrive pas ce que tu as filé en octobre. Que de fois, du temps qu’il te souvient, as-tu changé lois, monnaies, offices et coutumes, et renouvelé les membres ? Et, pour peu que tu te rappelles et que tu voies la lumière, tu te verras pareille à cette malade, qui ne peut trouver de repos sur sa couche, mais qui, en se retournant, trompe sa douleur. » De même Pétrarque, cité par Guichardin, qui souscrit à ce jugement : « O ingenia magis acria quam matura ! dit-il des Florentins ; car c’est chez eux une propriété naturelle d’avoir le vif et l’aigu, plus que le mûr et le grave. »

Sur son lit enfiévré, l’inconstante et inquiète Florence s’est si souvent retournée ; elle a si souvent changé ses institutions ; tant de magistratures qu’on croyait vivaces ont paru pour disparaître, tant d’autres au contraire qu’on croyait mortes sont tout à coup revenues, et tant d’autres encore coexistent, si différentes d’âge, de caractère, d’origine et d’intention, qu’un Florentin même, et même un Florentin très averti, a besoin de faire effort pour s’y reconnaître. Cette architecture de lois, que l’inépuisable fécondité de ces « esprits vifs, aigus, et subtils » surcharge sans arrêt, est devenue, dès le XIIIe siècle, si touffue et si hérissée que l’on propose une nouvelle loi pour interdire de faire trop de nouvelles lois ! Trop abondantes d’ailleurs, elles sont mal observées, ou ne le sont pas du tout. Elles subsistent cependant,