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loin les orages qui s’amassent autour de son œuvre, ceux que son nom soulèvera. Il sent que son cœur est pur, cela lui suffit pour attendre la mort…

A quoi servirait-il de vivre, si ce n’était pour s’améliorer sans cesse ? Et à quoi servirait une « purification » si complète de soi-même, si les descendans, quand elle leur appartient, ne savaient la reconnaître, la louer ? si elle n’offrait son exemple et son réconfort à ceux qui s’efforcent vers le mieux, parfois à travers bien des chutes, des erreurs, des défaillances ? Que les adversaires n’aient pas désarmé au lendemain de la mort, que les anciens amis aient continué d’accumuler les calomnies pour se défendre eux-mêmes devant le siècle et devant la postérité, la violence des luttes humaines, l’âpreté des intérêts et des glorioles suffit à l’expliquer. Mais voilà bientôt cent cinquante ans que Rousseau est descendu dans la tombe. Si même beaucoup, en remuant sa cendre, éprouvent comme M. Lemaître « une horreur sacrée… devant la fatale grandeur de son action sur les hommes, » n’est-il pas temps enfin de parler de lui avec sérénité, de reconnaître l’immense effort dont cette vie fut remplie, au travers d’une succession inaccoutumée de poignantes émotions, et la majesté finale qu’elle prend pour avoir oscillé entre tant d’extrêmes et renfermé, de ses commencemens à son terme, tant de souffrances, de misères, de désirs, tant de rêves et tant de pensées, tant de mal et tant de bien ?


EDOUARD ROD.