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cupidité, les constructions royales qui usurpent les terrains qu’il fallait laisser aux laboureurs[1] : il considère comme plus sages que les Romains, les Scythes qui portent leurs maisons sur des chars, et les Gètes qui ne connaissent pas la propriété terrienne[2]. Mais en faisant l’éloge de la simplicité, il en arrive à une doctrine de nihilisme politique qui ressemble à celui de Tibulle : ce ne sont ni les richesses, ni les honneurs, ni les magistratures, ni les tourmens de la politique qui rendent la vie parfaite. C’est la santé, et, avec elle, l’étude. Que demande le poète dans sa belle prière à Apollon ? « De vivre d’olives, de chicorée et de mauve ; de demeurer en bonne santé ; d’arriver à une vieillesse dont la poésie fera l’honneur et le charme[3]. » Il va plus loin, et rompant absolument avec les traditions romaines, il déclare dans certaines odes que le but de la vie, c’est le plaisir physique ; il conseille de se hâter de boire et d’aimer, car ce sont là les deux vraies voluptés de la vie ; il s’abandonne à un mot épicurisme, dont le détournent cependant de temps à autre des scrupules religieux. Mais, même dans sa religion, le poète demeure incertain et plein de contradictions. Parfois, cédant sans doute au mouvement qui se produisait en faveur de l’établissement de la vieille religion nationale, il déclare qu’il a trop navigué sur les mers de la philosophie, et qu’il veut maintenant tourner sa voile pour le retour ; et il décrit le Diespiter national à la façon antique, comme le dieu qui fend les nues avec l’éclair et qui frappe de coups terribles les humains[4]. Mais il admire, et il aime trop la religion artistique du plaisir et de la beauté créée par les Grecs ; et presque toujours il invoque, décrit et fait agir les dieux de l’Olympe hellénique, en les représentant sous les formes et dans les attitudes que leur avaient données la sculpture et la peinture, et aussi avec la signification et les fonctions qu’ils ont dans la mythologie grecque. Quels sont donc les dieux qui, d’après Horace, gouvernent véritablement le monde ? Sont-ce les dieux austères, impersonnels et presque informes du bon vieux temps, qui accablent l’Italie de calamités, parce que leurs temples tombent en ruine ? Sont-ce les symboles de la Pudor, de la Justitia, de la Fides,

  1. Horace, II, 15.
  2. III. 21, V. 9.
  3. I, 31, V. 15 et suiv.
  4. I. 34, 5.