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autre ou le contredit, en cherchant à découvrir le fil invisible qui les tient toutes ensemble, comme les perles d’un collier. Ce fil idéal, ce sujet unique sous-entendu dans toute l’œuvre, c’est la douloureuse confusion dans laquelle l’âme romaine se débattait alors, et que le poète ne cesse de considérer dans ses contradictions insolubles, sans avoir ni l’espoir, ni même, semble-t-il, la volonté de les résoudre.

Au sortir de conversations avec Auguste, avec Agrippa, avec Mécène, le poète compose les fameuses odes civiles et religieuses, dans lesquelles il évoque, en magnifiques strophes saphiques ou alcaïques, le passé de Rome et la tradition séculaire des vertus publiques et privées. Parfois il énumère en belles strophes saphiques d’abord les dieux et les héros de la Grèce, puis les personnages illustres de Rome ; il rappelle Paul-Emile « donnant sa grande âme aux Carthaginois victorieux, » et la gloire des Marcellus, et la mort courageuse de Caton, et la splendeur de l’astre des Jules, pour se réjouir à la fin de l’ordre rétabli dans le monde, sous le règne de Jupiter, qu’Auguste représente sur la terre[1]. Ailleurs, il admire avec ferveur la vertu aristocratique, qui n’est point, comme la gloire des ambitieux, le jouet de la faveur populaire[2]. Se souvenant des soldats de Crassus qui se sont mariés en Perse, et ont oublié le temple de Vesta, il fait revivre dans une pose sculpturale le simple et sublime héroïsme d’Attilius Régulus[3]. Il rappelle par de nobles images comment la jeunesse qui « teignit la mer du sang carthaginois » avait été élevée d’une façon austère dans la famille, qui n’avait pas encore été corrompue par une époque criminelle[4]. Mais sur les colonnes, les métopes, les triglyphes de ce monument magnifique, élevé à la grandeur légendaire de la société aristocratique, vient se poser tout un vol de pièces où Horace a célébré l’amour, Bacchus et les festins. Au sortir des maisons patriciennes, où l’on vantait si fort le passé, Horace retrouvait la bande joyeuse de ses jeunes amis, qui, maintenant que la paix était revenue, ne songeaient qu’à bien profiter des revenus des biens acquis dans le royaume des Ptolémées, et qui aimaient les loisirs de la villégiature, les festins, les jolies femmes, les distractions. Et le voilà qui, en se

  1. Horace, 1, 12.
  2. III, 2, V. 17 et suiv.
  3. III, 5.
  4. III, 6, V. 33 et suiv.