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pour avoir les moyens de satisfaire le besoin, maintenant répandu dans toutes les classes, de cette culture plus raffinée, plus sensuelle, plus artistique, plus philosophique, dont l’État asiatique était l’organe, et qui avait pour effet d’exciter tous les égoïsmes personnels que l’État latin se proposait au contraire d’enchaîner et de contenir. La culture gréco-asiatique entravait la restauration de l’ancien État latin que tout le monde réclamait pour sauver l’Empire ; mais tout le monde ou presque tout le monde voulait justement sauver l’Empire, pour que l’Italie eût les moyens de s’assimiler la culture gréco-asiatique. Telle était dans ses grandes lignes la contradiction insoluble dans laquelle se débattait l’Italie ; la contradiction que la politique de Cléopâtre et la conquête de l’Egypte avaient démesurément grandie, en excitant d’une part l’esprit de tradition, et de l’autre le goût de l’orientalisme ; la contradiction qui apportait le désordre à la fois dans la vie privée et dans la politique, dans la religion et dans la littérature, et qui est l’âme du merveilleux poème composé à cette époque par Horace.

Horace nous a laissé en effet, ciselé dans des vers d’une beauté inimitable, le document le plus profond sur cette crise décisive, qui revient périodiquement dans l’histoire de toutes les civilisations auxquelles Athènes et Rome ont donné naissance. Horace avait chanté la grande restauration nationale dont, après Actium, tout le monde avait senti la nécessité, en dressant, avec de merveilleux blocs de strophes alcaïques et saphiques, le monument magnifique de ses odes civiles, nationales et religieuses à l’ancienne société aristocratique. Mais il n’était ni par tempérament, ni par inclination, ni par ambition, le poète national, tel qu’Auguste l’aurait peut-être désiré ; il n’était pas non plus le poète de cour qu’ont voulu voir en lui ceux qui l’ont mal compris. Ce fils d’un affranchi, qui avait peut-être du sang oriental dans les veines ; ce Méridional, né en Apulie, pays alors à moitié grec et où l’on parlait encore les deux langues, ce penseur subtil et ce maître souverain de la parole, qui n’avait d’autre but dans la vie que d’étudier, d’observer et de représenter le monde sensible, de comprendre et d’analyser toutes les lois du monde idéal ; ce philosophe lettré n’était pas beaucoup porté à apprécier Rome, sa grandeur, sa tradition, son esprit trop peu enclin à l’art et à la philosophie, trop pratique et trop politique. Lui qui avait chanté les grandes traditions de