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magistratures les sénateurs d’origine plébéienne qui n’étaient entrés dans la Curie que par les portes que la révolution avait ouvertes ; on voyait même renaître la morgue et toutes les vanités d’une aristocratie trop puissante ; et cela allait si loin que ces nobles affectaient même du dédain pour Agrippa, dont ils étaient en réalité furieusement jaloux[1]. Mais le zèle civique, qui était l’âme de l’ancien régime aristocratique, ne se rallumait pas ; tout le monde évitait maintenant les charges laborieuses et dispendieuses, qui étaient si recherchées autrefois. Bien qu’on eût ouvert aux jeunes gens la route des honneurs, il n’était pas facile d’emplir de noms honorables les listes des candidats. Il fallait continuellement recourir à des expédiens extraordinaires, pour empêcher les services publics les plus importans, celui des routes par exemple, de tomber dans un abandon complet[2]. La plupart des sénateurs, au lieu de dépenser leur fortune dans les charges publiques, comme l’avait conseillé Cicéron, se disputaient les magistratures lucratives, comme celle du præfectus ærarii Saturni (administrateur du trésor), ou cherchaient à gagner de l’argent comme avocats, en acceptant des indemnités pour les plaidoiries, malgré la lex Cintia qui défendait de recevoir aucune récompense pour des actes d’assistance légale[3]. Il était facile de déplorer ce désordre, mais comment y remédier ? La plupart des sénateurs possédaient à peine le cens sénatorial, et avec 400 000 sesterces, non seulement il était impossible de faire des largesses au public, mais c’était à peine si l’on pouvait vivre honnêtement. Le principe de la gratuité des fonctions publiques, si essentiel à l’ancienne constitution, s’accordait mal avec la nouvelle situation économique de la société romaine, où les uns étaient trop riches et les autres trop pauvres. D’autres contradictions venaient encore aggraver et compliquer, dans la vieille République, le contraste entre les exigences de la vie privée et le devoir civique. Tout le monde vantail la simplicité et la parcimonie d’autrefois ; cependant, Auguste lui-même et ses amis, par les grandes dépenses qu’ils faisaient à Rome, éveillaient dans toutes les classes le goût du luxe.

  1. Voyez Sénèque, Controv., 2, 4 (12), 13 ; page 155 B.
  2. Pour ce qui est de la difficulté de pourvoir à l’entretien des routes, voyez C. I. L., VI, 1464 et 1501, et les observations de Hirschfeld, Untersuchungen auf dem Gebiete der röm. Verwaltung, Berlin. 1876, I, pages 110 et 111.
  3. Nous verrons en effet que quelques années plus tard Auguste renouvela la lex Cintia.