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avaient approuvé une loi, qui ordonnait de lui rembourser tout ce qu’il avait dépensé pour le public[1] ; et comme les élections de l’an 25 approchaient, ses admirateurs voulaient le nommer aussitôt préteur[2], en dépit de la loi, et à l’encontre des principes de légalité constitutionnelle qu’Auguste et ses amis se donnaient tant de peine pour rétablir. La noblesse s’irrita. Elle accusa le pompier trop zélé d’éteindre à Rome les incendies, mais de rallumer dans les esprits les passions démagogiques[3]. La vieille noblesse et les conservateurs à outrance reprenaient courage, à mesure que dans les classes élevées, parmi les sénateurs les plus respectables, parmi les chevaliers, et même dans la classe moyenne, s’accentuait l’aversion pour les hommes et les choses de la révolution ; à mesure que l’opinion publique dans toutes les classes sociales, comme il arrive souvent après les révolutions, était plus portée au respect de l’aristocratie historique, de la richesse, des gloires antiques et prenait en haine les obscurs ambitieux qui étaient entrés au Sénat après les ides de mars, les considérant comme indignes de représenter la majesté de Rome dans la grande assemblée. Enhardie par la chute de Gallus, la vieille noblesse osait donc maintenant accuser Rufus de tenter une sédition avec ses pompiers, de renouveler les pires agitations démagogiques d’autrefois ; sans même prendre garde que Rufus ne faisait que suivre l’exemple d’Agrippa et d’Auguste.

Mais cette fois la noblesse se trompa. Rufus n’avait pas seulement, comme Gallus, écrit de belles poésies et conquis des provinces, il avait sauvé du feu les habitations du petit peuple de Rome. La faveur du peuple pour sa candidature illégale à la préture, grandit très vite ; Statilius Taurus qui, en qualité de consul, présidait les élections, n’osa pas effacer son nom de la

  1. Dion, 53, 24.
  2. Vell., 2, 91, 3.
  3. Dion, 53, 24. La haine politique des grands pour Rufus remplit le chapitre 91 du livre II de Velléius. Cette haine seule peut expliquer l’opposition que les hautes classes firent à Rufus. Jusqu’à la conjuration contre Auguste, qui fut une représaille à la suite de l’injustice qu’il avait subie, — si toutefois l’accusation était vraie, — Rufus n’avait commis aucune action condamnable. Velléius lui-même, qui lui est si opposé, ne sait citer aucun fait qui justifie l’aversion que la noblesse avait pour lui. Son zèle pour éteindre les incendies, même s’il était un peu bruyant et intéressé, n’en était pas moins louable et la haine politique seule pouvait lui en faire un reproche. Rufus ne faisait pour les incendies que ce qu’Agrippa avait fait pour les eaux. Dion d’ailleurs le loue en disant (53, 24) : ἄλλα τε πολλὰ ϰαλῶς πράξας.