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plus longtemps l’influence romaine, des artistes grecs étaient appelés par les riches familles pour construire de beaux monumens[1] ; déjà les dieux élégans de Rome et de l’Orient apparaissaient dans les forêts immenses. Alors, comme toujours, cet heureux pays, par une rapide renaissance, s’était relevé des ruines de la dernière guerre ; alors, comme toujours, l’Etat qui en était le maître cherchait à tirer parti, par de nouveaux impôts, de sa florissante richesse, en mettant à la charge de cette province, qui seule peut-être avait prospéré dans l’universelle décadence, une partie de la dépense nécessaire pour l’entretien de l’armée, en abolissant le privilège de l’immunité dont avait joui la Gaule, par suite de la faiblesse de Rome, pendant les années précédentes. Une partie de l’armée ne servait-elle pas du reste à défendre la Gaule contre les Germains ? C’est parce qu’ils étaient protégés par les légions romaines que les Gaulois pouvaient goûter les bienfaits de la paix. Il était donc juste que la Gaule s’acquittât de ce qu’elle devait à l’armée[2], en contribuant aux dépenses nécessaires pour son entretien. Il est cependant probable qu’au congrès de Narbonne, Auguste se contenta d’annoncer et de réaliser une suite de mesures qui devaient préparer la réforme du tribut, sans qu’il y fût cependant encore fait allusion. Il ordonna un grand cens pour vérifier les changemens survenus dans les fortunes et pour distribuer équitablement les nouvelles charges. Pour aider les légats à faire le cens, il semble avoir laissé des procurateurs, choisis parmi ses affranchis les plus capables, à la tête desquels il avait mis Licinus ; ce jeune Germain que César avait fait prisonnier puis remis en liberté. Licinus connaissait à la fois la Gaule, la langue celtique et l’art d’administrer les finances[3]. Toutes ces dispositions prises

  1. Par exemple, le mausolée des Jules à Saint-Rémy en Provence : voyez Courbaud. Le bas-relief romain à représentations historiques, Paris, 1899, p. 328-329.
  2. Liv., Per., 131 et Dion, 53, 22, disent d’une façon précise que l’acte le plus important accompli par Auguste pendant son court séjour en Gaule fut le cens. Ce cens ne fut certainement pas ordonné par une pure curiosité statistique. Le but ne pouvait être que d’augmenter les impôts de la Gaule. César, comme nous l’avons vu, ne les avait, pas augmentés, et il est peu probable qu’ils aient été augmentés pendant la guerre civile. Cette augmentation des impôts nous explique l’épisode de Licinus, survenu douze ans plus tard, et dont nous parle Dion, 54, 21. Nous aurons à en parler ainsi que du mécontentement qui régna en Gaule les années suivantes. Nous verrons en outre que des textes jusqu’ici à demi compris de saint Jérôme, de Sincellus et du Chronicon Paschale confirment cette hypothèse.
  3. Il n’est question de Licinus dans Dion que plus tard, vers l’an 10, comme procurateur de la Gaule. Mais s’il avait déjà tant volé, à cette époque, il devait s’y être mis depuis quelques années. Je suppose donc qu’Auguste l’avait installé en Gaule, dès le début, lorsqu’il commença ses réformes.