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tout à fait, comme l’on peut voir, du charme romanesque qui s’attache, d’ordinaire, aux vies des femmes artistes italiennes ; et le chapitre que lui a consacré Mme Ragg ne laisse point de paraître assez terne, en comparaison de ceux qui nous décrivent les aventures imprévues de Properzia dei Rossi, ou la brillante carrière et la mort pathétique d’Elisabetta Sirani. Mais un simple coup d’œil jeté sur les images qui illustrent le livre de l’auteur anglais nous fait découvrir aussitôt que le contraste entre Lavinia et les autres femmes artistes de Bologne ne se borne pas à la diversité de leurs destinées : seuls, parmi la vingtaine des illustrations du volume, les deux tableaux tirés de l’œuvre de Lavinia Fontana révèlent un véritable et précieux tempérament de peintre. Et encore ces illustrations ne nous laissent-elles pas deviner l’un des élémens les plus originaux de la peinture de Lavinia : un coloris d’une élégance et d’une profondeur délicieuses, avec de fines nuances qui rappellent la manière italo-flamande des Mabuse et des Otto Venius. Aussi bien les bons tableaux de l’artiste bolonaise ont-ils, jusque dans la précision réaliste de leur dessin, une apparence flamande très marquée, et qui d’ailleurs s’explique, sans doute, par ce contact prolongé du génie flamand et du génie italien dont est sortie toute la grande école bolonaise de la fin du XVIe siècle. Les compositions religieuses, en particulier, la belle Présentation du petit François Ier à saint François de Paule, du musée de Bologne, la Vierge au Donateur de l’église Saint-Jacques Majeur, attestent évidemment l’imitation de l’Anversois Calvaert, qui longtemps a été l’un des chefs de l’art de Bologne.

Mais ces grandes compositions sont très rares, dans l’œuvre de Lavinia Fontana, dont le genre favori était le portrait. Et, dans le portrait même, son occupation favorite était le rendu des costumes et des accessoires, à tel point que l’on a pu déduire, de ses tableaux, une foule de renseignemens très précis et très importans sur les toilettes, les bijoux, et le mobilier italiens de son époque. Cette interprétation artistique des menus détails extérieurs a été, pour elle, ce qu’avait été pour Properzia dei Rossi l’ornementation des noyaux de pêche : elle y a mis tout son cœur et tout son esprit de femme, après s’être astreinte à une étude rigoureuse des règles et des procédés de son art. De même que ses glorieuses sœurs, Rosalba Carriera et Mme Vigée-Lebrun, plus glorieuses qu’elle, mais non point plus grandes, c’est en restant femme, en conformant son idéal au génie de son sexe, qu’elle est parvenue à créer des œuvres d’une grâce immortelle.


T. DE WYZEWA.