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point de vue artistique, est un grand Baptême du Christ, malheureusement très endommagé, que conserve la Chartreuse de Bologne : je me rappelle y avoir entrevu des anges d’une légèreté et d’un mouvement admirables. Au musée, une Apparition de l’Enfant Jésus à saint Antoine, dont la gloire n’a péri qu’avec celle de l’école bolonaise tout entière, est peut-être l’exemple le plus caractéristique du traitement qu’Elisabetta a t’ait subir à la manière du Guide : c’est comme si elle avait vidé cette manière de tout ce qui s’y cachait d’humain et d’individuel, de façon à la rendre, tout ensemble, plus banale et d’une grâce plus uniformément « angélique. » Si bien que la charmante jeune fille, tout compte fait, ne mérite qu’une estime assez médiocre auprès des historiens et des critiques d’art : personne n’a plus contribué à répandre une idée incomplète et fausse, non point sans doute de l’idéal artistique du Guide, — qui a toujours été d’un ordre assez bas, — mais de son fort génie personnel de dessinateur et de peintre. Elle y a contribué d’autant plus qu’elle ne manquait pas, elle-même, de science, ni de talent : avec un gentil sentiment de la couleur qui, mieux employé, lui aurait permis de produire de petites œuvres pleines de fraîcheur et de poésie. Que n’a-t-elle point appliqué son savoir à des travaux directement inspirés de son cœur de femme, comme jadis sa compatriote Properzia dei Rossi, qui, renonçant à rivaliser avec Michel-Ange, s’était mise à sculpter des encadremens de feuilles et de fruits !


La quatrième des héroïnes du livre de Mme Ragg s’appelait Lavinia Fontana. Celle-là, au contraire de Properzia dei Rossi et d’Elisabetta Sirani, a vécu longtemps, de 1552 à 1612 ; aucun document ne nous dit qu’elle ait été musicienne, ni poète ; et il y a d’elle un portrait, au Musée des Offices, — tout voisin de celui d’Arcangela Paladini, — qui, même à défaut d’autres témoignages, suffirait à nous apprendre qu’elle était fort laide. Sa vie s’est écoulée sans aucun événement notable, si ce n’est peut-être son mariage, où nous trouvons une première preuve de son éminente sagesse pratique : car on nous raconte que, déjà mûre, et après avoir refusé « les plus beaux partis, » elle fixa son choix sur un brave garçon d’esprit un peu simple, fils d’un honorable marchand de grains d’Imola. Avec ce mari, qui l’aidait aux soins du ménage, elle s’est laissée vieillir doucement et tranquillement : appréciée par tous les artistes de son temps, et toujours recevant plus lie commandes et d’honneurs qu’elle n’en désirait.

La biographie de cette honnête et raisonnable personne manque