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aisément de pénétrer jusqu’au fond de son âme : une âme toute transparente, gentille et douce à souhait, avec cela enfermée dans un corps d’une beauté un peu banale, mais parfaitement régulière et plaisante à voir. Tout ce que ses biographes nous racontent d’elle, sa naïve piété, sa bonté pour les servantes de ses parens, la façon dont elle soignait son père, malade de la goutte, et s’accommodait de ses accès de mauvaise humeur, tout cela s’accorde avec l’expression de ses portraits, et nous explique le caractère des nombreux tableaux qu’elle nous a laissés. Cette « manière du Guide » dont on peut dire qu’elle a été nourrie dès le berceau, personne n’était mieux fait pour lui donner sa portée définitive.

Aussi n’est-il pas étonnant que, bientôt, la gloire de la jeune élève ait égalé, ou même dépassé celle de son maître. Car, dans l’œuvre du Guide, et jusque dans ses tableaux les plus improvisés, toujours on sentait encore quelque chose de hardi et de vigoureux, un élément d’observation directe, des coups de fantaisie poétique, qui contrastaient avec la « suavité » convenue de la composition : tandis que la petite âme innocente d’Elisabetta Sirani, tout de suite, en ramenant l’art du maître à son propre niveau, l’avait adapté au goût commun de son temps. Princes et prélats, italiens et étrangers, personne ne traversait Bologne sans aller voir à l’œuvre l’aimable jeune fille ; personne ne quittait Bologne sans emporter d’elle au moins un dessin, une Sainte Famille, un Enfant Jésus bénissant le monde. Et une foule de témoignages nous apprennent combien fut vive et sincère la désolation universelle, lorsque, le 5 septembre 1665, la nouvelle se répandit qu’Elisabetta venait de mourir. Elle était morte après plusieurs jours d’horribles souffrances ; et les descriptions qui nous sont parvenues de sa maladie semblent bien indiquer quelque chose comme un ulcère de l’estomac, — à moins de supposer déjà, une appendicite : mais Elisabetta avait été trop adorée de ses compatriotes, et sa vie importait trop à la gloire de leur ville, pour qu’ils pussent se résigner à admettre que cette mort fût simplement naturelle. Une servante, qui avait quitté la maison des Sirani peu de temps auparavant, fut accusée d’avoir empoisonné sa jeune maîtresse ; et la pauvre femme, malgré l’absence de toute preuve contre elle, eut beaucoup de peine à obtenir sa mise en liberté.

Morte à vingt-six ans, Elisabetta Sirani avait eu le temps de peindre un très grand nombre de tableaux, dont beaucoup se trouvent encore dans des églises de Bologne, ou au musée de cette ville. L’un des premiers qu’elle ait peints, et peut-être le plus intéressant de tous au