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de Crémone, de Ferrare, on peut être assuré de trouver, dans les histoires locales d’avant la Révolution, un groupe plus ou moins nombreux de femmes célébrées pour la façon dont elles ont daigné, étant très belles et tout « ornées de grâces, » exceller encore, à l’égal de leurs pères ou de leurs amans, dans les pratiques de la peinture, de la sculpture, ou de l’enluminure. Aujourd’hui, leurs noms ont disparu des manuels comme des « guides ; » et l’on a relégué dans les coins les plus sombres des greniers de musées les portraits où la plupart d’entre elles avaient mis un soin particulier à se représenter, souriantes ou inspirées, avec leur ébauchoir ou leur pinceau en main. Et combien est déplorable cet abandon présent, c’est ce que nous prouve clairement le livre qu’une dame anglaise vient de consacrer à quatre femmes artistes de l’école bolonaise. Mme Ragg nous raconte, dans sa préface, qu’elle a écrit ce livre « presque contre son gré, » pour se distraire pendant un séjour forcé de plusieurs mois à Bologne : mais le sujet qu’elle a choisi se trouvait être si riche que je doute fort qu’aucun autre travail qu’elle eût pu entreprendre eût égalé l’intérêt, historique et l’agrément littéraire de ce livre, produit « contre son gré. »


Des quatre études qui composent ce livre, la première, et la plus longue, est celle que nous nous serions le plus facilement résignés à n’y point rencontrer. C’est la biographie d’une femme du XVe siècle, Catherine dei Vigri, qui, de même qu’Arcangela Paladini, a été poète, musicienne, et peintre, mais qui a été surtout une sainte, et dont le portrait serait mieux à sa place dans une galerie des saints de Bologne que dans un ouvrage d’histoire et de critique d’art. On a désormais, perdu l’habitude de visiter Bologne, une des villes les plus originales et les plus parfaitement belles de l’Italie, et du monde : du moins tous ceux qui, par hasard, s’y sont arrêtés, ont pu voir la figure de Catherine dei Vigri, — et non point peinte ni sculptée, mais miraculeusement conservée en chair et en os, et trônant, parmi des anges, dans une chapelle de l’église du Corpus Domini. Sur les murs de la chapelle, d’innombrables ex-voto attestent les prodiges bienfaisans que, depuis quatre siècles, son intercession a valus à ses compatriotes. Et ce corps qu’une grâce du ciel a maintenu intact, et ces ex-voto, et les cierges allumés, nuit et jour, devant le trône de la sainte, et cet admirable Specchio d’illuminatione que la Sœur Illuminata Bembo a achevé d’écrire, en 1469, sous la dictée ou d’après les récits de sa chère abbesse, donnent au personnage de la première des quatre « femmes