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faveur de sa protectrice, — car le dos de la toile portait, naguère, cette inscription : Ser. M. Magdalenæ Austriacæ jussu, manu propriâ se pingebat. A. D. 1621. Et voici enfin ce que nous dit une épitaphe latine, gravée, toujours par ordre de Madeleine d’Autriche, sur le « noble mausolée » que cette princesse a fait construire, pour enfermer les restes mortels de son amie, dans la discrète et vénérable petite église de Sainte-Félicité : « Ici repose le corps d’Arcangela Paladini, femme de Jean Broomans, Anversois. Elle a chanté pour les souverains de l’Étrurie : maintenant, elle chante pour Dieu. (Cecinit Etruscis regibus : nunc canit Deo.) Véritable Palladine, elle a égalé Pallas par sa raison, Apelle par ses couleurs, et, par son chant, les Muses. elle est morte dans sa vingt-troisième année, le jour du VIII Octobre M.D.G.XXII. »

Sparge rosis lapidem, « répands des roses sur cette pierre ! » nous demande encore l’épitaphe de Sainte-Félicité. Et, certes, le peu que nous savons de la personne et de la vie d’Arcangela suffit pour nous rendre chère cette jeune artiste. Ce triple talent de poète, de musicienne, et de peintre, cette amitié avec une princesse non moins remarquable par son esprit et son goût que par sa bonté, cette mort prématurée, tout cela forme un ensemble d’une beauté limpide et touchante, faite pour séduire le lecteur le plus indifférent. Mais tout cela ne nous aide pas à pénétrer le mystère de ce qu’il y a de passion brûlante, de tristesse profonde et sans espérance, dans les grands yeux noirs du portrait des Offices. La jeune femme, lorsqu’elle a peint ce portrait douloureux, avait-elle déjà senti la main de la mort se poser sur elle ? Ou bien cachait-elle, au secret de son cœur, quelque terrible amour qui la dévorait ? Combien il serait à souhaiter qu’un érudit florentin, s’interrompant de rechercher les comptes de ménage d’Alessio Baldovinetti, ou de reconstituer l’ascendance généalogique d’Andréa del Castagno, prît la peine de compléter la biographie d’Arcangela Paladini, avec les documens que ne peuvent manquer de posséder, sur elle, les archives de la Cour du grand-duc Côme II ! Il nous offrirait là une page d’histoire qui aurait, j’en suis bien sûr, tout le charme poétique et toute l’émotion d’un roman.


Mais, au reste, chacune des vieilles cités italiennes, grandes ou petites, a eu ainsi d’exquises jeunes femmes qui ont contribué à sa gloire artistique, et dont les douces ou tragiques figures mériteraient d’être enfin tirées de l’oubli où les a laissées tomber le pédantisme grossier du siècle passé. Qu’il s’agisse de Pise ou de Naples, de Gênes,