Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 38.djvu/941

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lorsque enfin, un soir, dans une échoppe de bouquiniste, derrière Sainte-Marie de la Fleur, je pus mettre la main sur un livre où était racontée la vie de ma chère inconnue. Le livre se composait de trois gros volumes, et la vie d’Arcangela Paladini, malheureusement, n’y tenait que trois pages : mais, du moins, c’était une voix qui me parlait d’elle. Combien de fois je les relus, dans la solitude de ma chambre d’auberge, ces trois pages du tome second de la Pisa Illustrata d’Alexandre Morrona ! Et comme, le lendemain, au musée, en récompense de mes efforts pour me rapprocher d’elle, les grands yeux d’Arcangela me semblèrent accueillans et affectueux ! comme la figure de cette morte d’il y a trois cens ans me parut plus vivante que les ombres ennuyées et bavardes qui, s’agitant autour de nous, venaient troubler la douceur de notre entretien !

Elle était née à Pise, d’une famille où l’on avait toujours cultivé les arts ; et, dès son (enfance, son cœur enthousiaste n’avait eu de goût que pour la beauté. Entre les jeunes filles de sa ville natale, aucune ne l’avait égalée pour la science et la grâce du chant, ni pour le talent d’improviser, en s’accompagnant sur le luth, les paroles et la mélodie de poétiques canzones, ni, non plus, pour l’invention et pour l’adresse de main dans les travaux délicats de la broderie ; et sans cesse, d’autre part, sous la direction attentive de son père, qui était peintre lui-même, elle réussissait plus parfaitement soit à copier, dans les églises, quelque belle figure de Sarto ou de l’un des Lomi, soit à peindre déjà, d’après nature, d’aimables petits portraits sur cuivre, à la mode du temps. De telle sorte que, bientôt, la renommée de son multiple génie s’était répandue par toute la Toscane, et que la femme du grand-duc Côme II, Madeleine d’Autriche, avait désiré l’avoir à sa cour. Ainsi Arcangela, vers 1615, avait dû quitter sa patrie pour se fixer à Florence, où, tout de suite, un jeune peintre flamand s’était épris d’elle. Il s’appelait Jean Broomans, et, probablement, suppléait à son manque de valeur artistique par l’attrait de sa mine et de ses façons : car la grande-duchesse Madeleine avait pour lui une estime particulière, et Morrona affirme que c’est « suivant la volonté de la susdite princesse qu’Arcangela Paladini, en 1616, à dix-sept ans, s’est unie par mariage avec Jean Broomans. » Après quoi, le biographe pisan n’a plus rien à nous apprendre sur sa compatriote, si ce n’est que, « pendant que celle-ci faisait le plaisir de ses amis et l’espérance de tous les artistes, la mort jalouse et cruelle est venue trancher le beau fil de ses jours. » Le portrait de Florence, de son côté, nous révèle qu’Arcangela a conservé, jusqu’au bout, la précieuse